France

La collection du MuCEM comprend quatre-vingts sifflets français. Ce nombre peut sembler élevé mais, compte tenu du fait que cette institution est l’héritière des objets de l’ancien musée des Arts et Traditions populaires, il est au contraire très limité. Beaucoup de musées européens de même nature (Italie, Portugal, Russie, Europe du Nord, etc.) possèdent plusieurs centaines de sifflets témoignant de leur production nationale. Doit-on en déduire que la production de sifflets en France était moins abondante ?

En réalité, la collection témoigne surtout de l’histoire des institutions qui les ont collectés (voir à ce sujet « Du musée d’Ethnographie du Trocadéro au musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée »). Quand se créent dans l’Europe de la fin du xixe siècle des musées d’art populaire nationaux, ceux-ci centrent leurs collections sur la culture locale. Ces institutions s’inscrivent souvent dans un contexte politique de redécouverte de la culture dite populaire et, à cette occasion, de grands chantiers de collecte visent à recueillir les objets du milieu paysan, berceau « authentique » de l’identité cultuelle nationale, par opposition au milieu lettré influencé par une culture bourgeoise commune au monde occidental.

À l’opposé, le musée d’Ethnographie du Trocadéro (MET) est ouvert vers les autres cultures. Si la France y trouve sa place, elle n’y est pas centrale et aucune démarche de collecte systématique n’est entreprise. Ce n’est qu’en 1937 que le MNATP sera créé à partir des collections françaises du MET.

La collection des sifflets français du MuCEM, héritée en majorité de celle du MNATP, est ainsi surtout composée de sifflets de la région Centre (15 dont 14 du Berry), de Provence-Alpes-Côte d’Azur (14 dont 7 d’Aubagne), d’Alsace (17 de Soufflenheim) et des Pays de Loire (15 de la Sarthe). Cette répartition donne une bonne image de la production française de ces objets à partir des années 1930 mais beaucoup de centres potiers antérieurs, souvent fermés avant 1914, en sont donc absents.

Histoire

Deux sifflets ont été découverts dans le Douaisis en 1955 et 1960, en surface de sites où coexistent des occupations néolithiques mais aussi des habitats gallo-romains. Aussi est-il difficile de préciser leur datation1.

D’autres sifflets en terre cuite datent de l’époque gallo-romaine. Un ensemble important a été trouvé lors de fouilles conduites sous Napoléon III par Albert de Roucyen en forêt de Compiègne. Il se compose de vingt-quatre objets en forme d’oiseau (des poules ?) actuellement conservés au musée des Antiquités nationales2. Les fouilles portaient sur des emplacements de structures antiques au Mont-Chiprais ou Chyprès. La céramique commune trouvée sur ce lieu a depuis été datée du iiie siècle au début du ve siècle.

Sifflet (?) France, époque indéterminée. Coll. particulière. © Pierre Catanès

Ill. 1 : Sifflet (?) France, époque indéterminée.
Coll. particulière. © Pierre Catanès

Ces oiseaux possèdent un large trou sur le dos et un petit trou en haut de la tête. Leur fonction de sifflet est discutée car ils ne possèdent pas de conduit aménagé. On peut envisager de souffler directement sur le biseau de l’ouverture, cependant des essais effectués sur des objets similaires sont souvent peu concluants et les ouvertures dorsales ne sont pas suffisamment taillées en biseau (ill. 1). On peut aussi imaginer qu’une flûte en bois était insérée dans l’objet, celui-ci aurait pu alors fonctionner comme un sifflet à eau. Ce sifflet n’est d’ailleurs pas isolé : un autre objet de même facture a été trouvé en Argonne3 ainsi que d’autres encore, appartenant à des collectionneurs privés, qui s’en rapprochent. On peut également faire le lien avec un ensemble de sifflets de l’époque romaine trouvés à Mérida (Espagne) où un de ces sifflets se termine par un conduit de flûte4. Ce type de « sifflet » était donc sans doute assez courant à l’époque.

Un autre sifflet gallo-romain du ier ou iie siècle a été trouvé à Chalon-sur-Saône dans une sépulture à incinération5. Il a une forme ovoïde, se termine par un conduit aménagé et possède un trou de jeu ; des protubérances d’argile rapportées sur le corps lui donnent un aspect zoomorphe mais on peut le comparer à des objets similaires, munis de pics d’argile, servant de hochets6.

D’autres mentions de découvertes de l’époque gallo-romaine peuvent être relevées dans les comptes rendus des anciennes sociétés savantes. On peut penser, au vu de ces découvertes nombreuses, que les sifflets en terre cuite faisaient partie des productions locales de nombreux ateliers potiers gallo-romains.

Comme dans l’ensemble de l’Europe, aucun sifflet n’a été retrouvé pour le haut Moyen Âge. Les plus anciens sifflets médiévaux actuellement découverts en France datent des xiiie et xive siècles et proviennent des fouilles du château de Caen7. D’autres découvertes des xive et xve siècles ont été faites dans la même ville8.

Pour les xve et xvie siècles, les découvertes sont trop nombreuses pour être ici détaillées. Dans le Beauvaisis, en Normandie, à Paris, Lille et Metz9 les fouilles ont livré de nombreux sifflets aux formes extrêmement variées. Il n’y a plus ensuite de rupture de la production jusqu’à la fin du xixe siècle où de nombreux centres commencent à fermer, phénomène qui s’accentuera encore pendant la première moitié du xxe siècle jusqu’à nos jours, où seuls quelques ateliers perpétuent la fabrication traditionnelle des sifflets.

Les lieux de production

Beaucoup de centres sont présentés dans les textes accompagnant les notices de ce catalogue, mais la production française n’est pas limitée à ceux-ci. De fait, parmi les régions françaises métropolitaines, il n’y a que pour la Corse que nous n’avons pas trouvé de témoignage d’une production locale. Ce fait est d’autant plus surprenant que cette région est proche de l’Italie et du sud de la France où ces objets sont très courants.

Sur le reste du territoire, nombreux ont été les lieux de production. Il ne faut pourtant pas imaginer que tous les centres potiers aient réalisé des sifflets. Généralement cette fabrication est la spécialité d’un centre, et même le plus souvent d’une famille, et la diffusion se fait dans un rayon plus ou moins étendu. Il reste sans doute encore de nombreux centres à découvrir. Pour un grand nombre de ceux déjà connus, la production demande à être identifiée précisément et, à l’inverse, de nombreux sifflets français n’ont pas encore été attribués avec exactitude.

Les formes

Variété des sifflets en forme de cruche en France, fin du XIXe – début du XXe siècle. Coll. particulière. © Pierre Catanès

Ill. 2 : Variété des sifflets en forme de cruche en France, fin du xixe – début du xxe siècle.
Coll. particulière. © Pierre Catanès

Beaucoup de sifflets sont faits à partir d’une base réalisée au tour. Cela limite les formes et on rencontre principalement des oiseaux, le plus souvent reposant sur un piédouche, et des cruches et pichets.

Ces formes ne sont pas spécifiques à la France mais on y constate une grande variété. Ainsi, pour les cruches, chaque région a adapté ses modèles aux formes locales (ill. 2). La collection du MuCEM reflète cette diversité.

Cela dit, on note que la production de la Renaissance était beaucoup plus variée et les sifflets du début du xxe siècle ne donnent qu’une image appauvrie de ce qui a pu se faire. Ainsi, rares sont les centres comme Sémézies-Cachan (Gers) ou Nibelle (Loiret) à produire encore à la fin du xixe siècle des cavaliers, reflet de modèles fréquents auparavant.

La réalisation au tour de sifflets aux formes assez simples est plus rapide et plus économique pour des objets destinés à une clientèle populaire, quand les classes aisées découvrent au xixe siècle de nombreux jouets nouveaux et luxueux. Cette concurrence a pu entraîner l’abandon de modèles plus complexes. Seules les régions où les sifflets sont modelés ont continué une production plus variée comme à La Borne (Cher) où les potiers ont modelé leurs sifflets en forme de serpent, poisson, etc.

Même pour le xixe siècle, nous n’avons qu’une connaissance limitée des formes réalisées. Les sifflets anthropomorphes étaient peut-être plus répandus. On connaît ainsi des sifflets en forme de saint Gangolf en Alsace ou de Napoléon à La Poterie près de Lamballe (Côtes-d’Armor). Enfin, certains sifflets étaient-ils des fantaisies d’un potier ou une forme classique locale ? On peut se poser la question quand un seul exemplaire de ce type est connu, comme dans le cas d’un sifflet en forme de chien fabriqué à Autun (Saône-et-Loire) (ill. 3).

Sifflets à eau et tubulaire, fabrique Payeben, Autun, fin du XIXe siècle. Coll. particulière. © Pierre Catanès

Ill. 3 : Sifflets à eau et tubulaire, fabrique Payeben, Autun, fin du xixe siècle.
Coll. particulière. © Pierre Catanès

Cocottes de Puisaye, François Solano, Moutiers-en-Puisaye, vers 1960. Coll. particulière. © Pierre Catanès

Ill. 4 : Cocottes de Puisaye, François Solano, Moutiers-en-Puisaye, vers 1960.
Coll. particulière. © Pierre Catanès

Une seule forme de sifflet n’est connue qu’en France. Il s’agit des « cocottes » réalisées par les potiers de Puisaye10. Leur principe reprend celui des sifflets de marine avec un long tuyau débouchant sur l’ouverture pratiquée dans une sphère (ill. 4).

D’autres sifflets n’ont laissé que peu de traces. Ce sont les plus ordinaires comme les petits sifflets aviformes produits pour accompagner les fêtes ou amuser les enfants, qu’on retrouve par exemple à Nibelle (Loiret) ou à Prévelles (Sarthe).

Les potiers pouvaient, enfin, fabriquer de simples sifflets tubulaires. La collection du MuCEM en présente un, sans doute produit en Suisse mais destiné au marché des pâtissiers de l’est de la France. La production de sifflets tubulaires simples est connue aussi en Sarthe et en Lorraine. Il est probable qu’elle était plus répandue encore. Nous l’ignorons car ces objets n’ont pas été conservés.

La vente

La majorité des sifflets étaient destinés aux enfants et vendus par des colporteurs puis dans les commerces des villages. Les potiers en offraient également aux enfants des clients.

À côté de ces modes traditionnels de vente, les sifflets étaient souvent vendus à l’occasion de fêtes paroissiales et de pèlerinages. Beaucoup de ces fêtes sont présentées dans les textes accompagnant les notices du catalogue ou dans « Le sifflet, usages et symboles ». Bien d’autres lieux de vente particuliers restent à découvrir.

Le sifflet, en terre ou non, faisait partie du paysage sonore durant toute l’année et particulièrement de celui des enfants.

En 1900, Gaston Vuillier écrivit : « Un des jouets familiers aux enfants de Rome consistait en une petite figurine d’argile qu’on faisait siffler en lui soufflant dans le dos. On trouve un jouet analogue dans nos fêtes foraines sous forme d’un coq en sucre ou d’un oiseau en terre qui chante lorsqu’on souffle dans un trou pratiqué dans la queue11. »

Les coqs en sucre n’ont pas laissé d’autre trace que cette citation, comme les figurines en pain d’épice où était inséré à l’arrière un sifflet en terre cuite, vendues pour la Saint-Nicolas en Lorraine12 : « Pauvre marchandise : jouets très simples, objets en sapin taillés au couteau et dont le bois est à peine dégrossi, gâteaux volumineux mais légers et agrémentés de dessins vermiculés. Surtout, d’innombrables effigies de saint Nicolas et de sa bourrique. Il est en pain d’épice [...] en chocolat [...] en sucre [...] en brioche [...]. Sa bourrique se fait presque exclusivement en pain d’épice et porte, détail important, à la place de la queue, un petit sifflet en terre cuite. »

En dehors de contextes très particuliers, les découvertes archéologiques de sifflets en terre cuite sont souvent difficiles à interpréter. C’est, par exemple, le cas de sifflets du xviie siècle provenant des fouilles du Mont-Saint-Michel. Trouvés avec des fragments de trompes de pèlerins, s’agissait-il de jouets vendus aux pèlerins et à leurs enfants – mais pourquoi ceux-ci auraient-ils achetés des objets qu’ils pouvaient acquérir près de chez eux13 ? À Saint-Malo, se tenait depuis le Moyen Âge à la mi-carême, une foire ès sublets (foire des sifflets) fondée vers la fin du xiie siècle et nommée ainsi à cause des sifflets et autres objets de bimbeloterie qui y étaient vendus14. Y avait-il un lien avec les sifflets du Mont-Saint-Michel ?

Comme on le voit, de nombreuses recherches restent à faire pour avoir une vision plus complète de ces traditions en France.

1 Roger Félix, « Sifflets romains en terre cuite découverts dans le Douaisis », Ogam. Tradition celtique, t. XIX Fasc. 3-4, Rennes, OGAM, juin 1967, p. 209, fig. 2 : ill. 4 et 5.

2 Micheline Rouvier-Jeanlin, « Les figurines gallo-romaines en terre cuite au musée des Antiquités nationales », XXIVe supplément à Gallia, CNRS, 1972, p. 395-398, notices 1232 à 1255.

3 Georges Chenet, « Un “Coucou” gallo-romain d’Argonne », Revue des musées et collections archéologiques, no 10, 1927, p. 337- 339.

4 Ces sifflets sont conservés au Museo Nacional de Arte Romano de Mérida.

5 Catherine Homo-Lechner et Christophe Vendries, Le Carnyx et la lyre. Archéologie musicale en Gaule celtique et romaine, cat. exp. Besançon, Éd. du Musée des beaux-arts et d’archéologie de Besançon, 1993, p. 86, notice 110.

6 Le musée du Pays de Retz à Bourgneuf-en-Retz (44) possède un hochet semblable à pointes sans conduit d’air aménagé de flûte. Il fut trouvé en fouilles à Rezé en 1966 et est daté du ier siècle après J.-C. (Gallia, vol. 25, no 25-2, 1967, p. 236).

7 Pascal Leroux, « Les sources archéologiques », Mémoires du château de Caen, cat. exp. Caen, Musée de Normandie, 2000, p. 150-158, notices 207 et 208.

8 Sandrine Berthelot, Jean-Yves Marin et Monique Rey-Delqué (textes réunis par), Vivre au Moyen Âge. Archéologie du quotidien en Normandie, xiiie-xve siècle, cat. exp. Caen-Toulouse-Evreux, 5 continents Éditions, 2002, notice n° 226, p. 294, ill. p. 228.

9 Valérie Goedert et Eric Verdel, Metz médiéval. Mises au jour, mise à jour, cat. exp. Metz, Éd. Serpenoise, 1996, p. 133-135, notices 217 à 224, planche XXIII.

10 Marcel Poulet, Poteries et potiers de Puisaye et du Val de Loire xvie-xxe siècle, Merry-la-Vallée, Éd. M. Poulet, 2000, p. 331.

11 Gaston Vuillier, Plaisirs et jeux depuis les origines, Paris, J. Rothschild éditeur, 1900, p. 55.

12 Henri Grancolas, « Souvenirs des Vosges. Saint-Nicolas (6 décembre) », Le Pays Lorrain, 3e année, Nancy, 1906, p 510-511.

13 Ces sifflets D.88.7.5 et D.88.7.6, entrés dans les collections du musée de Normandie de Caen, ont été signalés aux auteurs par Sandrine Berthelot, conservateur au musée.

14 Amédée Guillotin de Corson, Pouillé historique de l’archevêché de Rennes, t. 1er, Rennes, Fougeray, Paris, René Haton, 1880, p. 684.