Russie

L’ensemble de quatre-vingt-cinq sifflets venant de Russie est le plus important de la collection du MuCEM. Il se divise en deux groupes. Vingt-quatre sifflets datent de la fin du xixe siècle et du début du xxe siècle. Soixante et un témoignent de la production de la deuxième moitié du xxe siècle.

L’importance du noyau historique de la collection est la conséquence des relations étroites entre la Russie et la France qui existent depuis la fin du xixe siècle. Huit de ces sifflets viennent de la collection d’objets russes sur l’enfance donnée par Egor Pokrovski en 1890 (coll. DMH1890.2) après l’Exposition universelle de 1889 à Paris. Ils avaient été exposés parmi un ensemble d’objets qui présentaient l’enfance en Russie. Deux autres sifflets ont été donnés l’année suivante par Dimitri Gourine (coll. DMH1891.75). L’origine de trois sifflets de la fin du xixe ou du début du xxe siècle est incertaine. Deux ont été retrouvés lors d’inventaires des collections du MET (DMH.X1949.1.15 et DMH.Xorg93). Ils sont caractéristiques de la production de Dymkovo. Le troisième sifflet du même village a été considéré, lors de l’inventaire des collections du MET après la création du musée de l’Homme, comme provenant d’un don de la Société des traditions populaires fait en 1892. Ces objets avaient été donnés à cette société par Jan Karlowitz et décrits comme étant des jouets vendus sur les marchés de Varsovie. Il est probable que ce sifflet, comme les deux précédents et plusieurs figurines de Dymkovo dont les origines sont également inconnues, proviennent d’une autre collection d’objets qui reste à identifier.

Le Baron de Baÿe, un des collecteurs du musée d’Ethnographie du Trocadéro, qui rapporta de nombreuses collections d’objets russes au début du XXe siècle. © Musée du quai Branly 

Ill. 1 : Le baron de Baÿe, un des collecteurs du musée d’Ethnographie du Trocadéro, qui rapporta de nombreuses collections d’objets russes au début du xxe siècle. © Musée du quai Branly 

Huit autres sifflets ont été achetés par le musée de l’Homme aux héritiers de grands collectionneurs d’art populaire russe, le baron de Baÿe (coll. DMH1946.38, ill. 1) et Nathalie Ehrenbourg-Mannati (coll. DMH1956.3).

Paul Rivet et Georges Henri Rivière, qui réorganisent en 1937 le musée d'Ethnographie du Trocadéro pour donner naissance au musée de l’Homme et au musée des Arts et Traditions populaires, s’intéressent tous deux à l’Europe du Nord et à l’URSS. Une mission dirigée par Léonide Zouroff est envoyée en 1938 dans la région de la Setumaa en Estonie. Deux sifflets anciens sont acquis chez des paysans pendant cette collecte. L’Estonie fut ensuite rattachée à l’URSS puis, en 2005, le traité fixant la frontière entre la Russie et l’Estonie divisa la Setumaa entre ces deux pays. Le village où ont été collectés les sifflets est aujourd’hui en Russie. Ils entrent ainsi dans le cadre de cette étude sur la production russe.

Lydia Delectorskaya fit don du dernier sifflet DMH1988.53.25 du début du xxe siècle en 1988. C’est le seul sifflet ancien parmi l’importante collection de jouets en terre cuite russes dont elle fit don au musée de l’Homme (coll. DMH1995.26). En effet, les soixante autres sifflets qu’elle donna au musée de l’Homme parmi des centaines d’objets d’art populaire, collectés lors de ses voyages en Russie, sont caractéristiques des objets « folkloriques » russes vendus dans les années 1970–1980.

Le dernier sifflet DMH2000.24.5, témoignage de la production moderne de Kargopol, a été donné par I.V. Onoutchina, conservatrice au musée de cette ville, à l’occasion d’un colloque organisé à Paris.

La production russe de sifflets en terre cuite est à l’image du pays, immense et très variée. Il est difficile de la caractériser mais, au-delà des différences de techniques ou de formes qui existent entre les régions, la poésie et la joie se dégagent toujours de ces figurines. Bien que souvent représentés de façon sommaire, les sujets semblent vivants, comme figés dans leur mouvement pendant une fête ou un moment agréable. Les soldats se promènent aux bras d’élégantes, les ours portent des offrandes ou jouent de la musique, les jeunes femmes bercent leurs enfants.

Histoire

De nombreux jouets en terre cuite ont été mis au jour lors de fouilles en Russie, dont les plus anciens datent du xe siècle. Les cultes païens d’antan sont perceptibles dans beaucoup de ces jouets, surtout dans le sud de la Russie dans les oblasts de Koursk, de Kalouga ou de Riazan. Dans la plupart de ces régions, ces sifflets auraient été utilisés pendant les fêtes des moissons jusqu’aux années 19201.

L’intérêt pour les sifflets en terre cuite manifesté par les chercheurs et intellectuels russes, ainsi que par la classe aristocratique et bourgeoise qui découvre les objets de la culture populaire, commence dès 1880 quand furent organisées les premières expositions d’art populaire à Moscou. Dès le début de la période soviétique, le gouvernement mit à l’honneur la poterie traditionnelle. Au début du xxe siècle, la production artisanale, alors déclinante, fut sauvée par la création d’écoles artistiques étatiques. Les derniers artisans qui vivaient difficilement de leur production se virent alors honorés. La création de ces écoles a sauvé la fabrication traditionnelle de sifflets mais, en contrepartie, la production devint souvent très stéréotypée. Les mêmes modèles régionaux sont reproduits sans changement en grande quantité pour être vendus dans les magasins d’État. Aujourd’hui, les jeunes artistes innovent en créant de nouveaux modèles qui respectent le style de chaque région.

Lieux de production

Les principaux centres de production de sifflets en Russie sont représentés dans la collection du MuCEM : Dymkovo (Kirov), Filimonovo, Abashevo, Gorodets, Arkhangelsk, Skopine, etc.

Il est certain qu’en dehors de ces grands centres, beaucoup de localités où les potiers réalisaient des sifflets demeurent inconnues. Lorsque Gennadi Blinov étudia les figurines russes populaires dans les années 1960–19702, il découvrit ainsi de nombreux villages où d’anciens potiers en produisaient encore.

« Appeau » de la collection Pokrowski. Dessin extrait de l’article d’Egor Pokrowski, « Matériaux pour servir à l’étude de l’éducation physique chez les différents peuples de l’empire russe », Revue d’ethnographie, t. 7, 1889.

Ill. 2  : « Appeau » de la collection Pokrowski. Dessin extrait de l’article d’Egor Pokrowski, « Matériaux pour servir à l’étude de l’éducation physique chez les différents peuples de l’empire russe », Revue d’ethnographie, t. 7, 1889.

Ainsi, malgré l’abondante bibliographie, plusieurs sifflets de la collection du MuCEM n’ont pas pu être attribués à une région précise. Parmi eux, un sifflet de la fin du xixe siècle qui est décrit dans l’inventaire du MET comme étant en forme d’aigle (DMH1890.2.23). Acquis en 1890, il est en terre vernissée, et n’a pas pu être rapproché d’autres sifflets des collections des musées russes. L’aigle étant d’ailleurs rarement représenté dans les sifflets russes, on peut se demander s’il ne s’agit pas d’un canard. Un dessin illustrant la collection d’Egor Pokrovski pourrait le laisser supposer (ill. 2)3. Malheureusement, aucune indication n’est donnée sur la provenance des sifflets et jouets, qui peuvent donc provenir de nombreuses régions. Les objets identifiés dans cette collection par le donateur ont été acquis à Toula, Viatka, etc. mais aussi dans toute la Russie.

L’actuelle et abondante production de jouets et de sifflets en terre cuite est également difficile à attribuer avec précision. Ainsi, parmi les sifflets de la collection de Lydia Delectorskaya, il s’en trouve dix dont nous n’avons pas pu actuellement localiser le lieu de fabrication.

Oblast d’Arkhangelsk

Situé dans le nord de la Russie, l’oblast d’Arkhangelsk est une région importante pour ce qui concerne la fabrication de jouets en terre cuite. Cette production a été mise à l’honneur à partir des années 1930.

Ceux de Kargopol sont les plus connus de la région. À la différence des autres centres potiers russes, la majorité de ces jouets ne sont pas des sifflets : on n’en fabrique qu’un seul modèle représentant une colombe.

Des jouets en terre cuite étaient aussi produits dans le village de Samovo dans la région de Velsk4. Si trente-cinq potiers exerçaient encore leur métier au début du xxe siècle, la production avait disparu au milieu de ce siècle. C’est par le témoignage d’Alexander Zhitnukhin (né en 1907) qu’on la connaît. Bien qu’ayant quitté le village en 1935 pour s’installer à Velsk, il continua à modeler les jouets traditionnels de Samovo. N’étant pas destinés à la vente, ils se distinguent par leur simplicité, étant réalisés rapidement et recouverts seulement d’un vernis. Les potiers, en effet, les offraient aux enfants des villages où ils passaient vendre leur production. Ainsi, grâce au son des sifflets, chacun savait que le potier était présent, ce qui lui évitait de passer de maison en maison.

À Kargopol comme ailleurs, le potier choisissait l’animal qu’il voulait représenter en ajoutant simplement une tête d’oiseau, de chien, etc. sur le corps globulaire du sifflet. Deux petites pattes à l’avant stabilisaient l’objet. Des cavaliers chevauchant un cheval à deux têtes ont aussi été fabriqués. Ces chevaux bicéphales ou tricéphales ont été produits dans de nombreuses régions slaves et symbolisaient certainement à l’origine le soleil.

Kargopol

Sous le nom de Kargopol, on regroupera ici les villages où travaillaient les potiers autour de cette ville, située au sud de l’oblast d’Arkhangelsk au milieu des denses forêts du nord du pays. Centre commercial prospère au Moyen Âge, la ville se trouvant sur la route reliant Moscou à Arkhangelsk alors seul port de Russie, Kargopol déclina peu à peu après l’établissement de Saint-Pétersbourg puis resta isolée longtemps des grands centres culturels. Cela explique peut-être le caractère spécifique des jouets et sifflets de Kargopol. Leur décoration est très sobre et les personnages représentés par ces figurines sont des paysans et non des habitants de la ville comme à Dymkovo ou Toula.

On ne connait pas les origines des jouets en terre cuite de la région. La production d’Ivan Druzhinin (1887-1949) a été la première découverte dans les années 1930. Ce dernier travaillait comme charpentier ou fabricant de charrettes dans le village de Grinevo, à dix-sept kilomètres de Kargopol, mais il aimait surtout modeler des jouets. Sa production très originale a marqué le style des fabricants ultérieurs. Ses personnages modelés simplement reflètent la vie du village. Ils portent les costumes des paysans et sont décorés sobrement de quelques traits, de petites croix ou de cercles noirs.

Ce style se retrouve dans tous les objets anciens de la région conservés dans les musées. On pourrait en déduire que Ivan Druzhinin était le seul fabricant de jouets au début du xxe siècle, mais c’est sans doute l’originalité de son travail qui a conduit les musées à s’intéresser et collecter sa production. Le nombre de fabricants de jouets et sifflets était néanmoins limité5. Ainsi, à Grinevo où travaillaient de très nombreux potiers au début du xxe siècle, seuls Ivan Druzhinin et Ivan Babkin faisaient des jouets. En cela, ce village ne fait pas exception. Dans toute l’Europe, seules quelques familles produisent des sifflets dans les villages potiers, même très importants. La transmission de ce savoir-faire se fait presque partout de manière familiale. Les filles d’Ivan Babkin avaient ainsi appris, dès l’enfance, à modeler les jouets.

C’est grâce à l’une d’elle, Ulyana Babkina (1888-1977), que l’on connaît la fabrication traditionnelle de ces objets. Les jouets étaient cuits dans le four domestique puis peints de manière artisanale. Le jaune était obtenu à partir de lait de vache, le blanc fait de chaux et de lait, le noir avec de la suie et du lait, et le rouge était obtenu avec de la rouille ou du fil rouge et de l’huile de lin bouillie. Ulyana Babkina continua la fabrication de jouets entre les années 1950 et 1970 mais sa production était moins variée que celle de Druzhinin.

D’autres personnes âgées produisaient encore des jouets autour de Kargopol dans les années 1960. Sergei Druzhinin (1925-1972) était le plus jeune de cette génération de fabricants traditionnels de jouets. D’une famille de potiers, il aimait surtout rendre visite à Ivan Druzhinin quand il était enfant, et il apprit très vite à modeler les jouets. Après avoir exercé divers métiers, il n’en reprit que tardivement la fabrication.

« Boyard », Kargopol, fin du XXe siècle. Coll. particulière. © Pierre Catanès

Ill. 3 : « Boyard », Kargopol,
fin du xxe siècle.
Coll. particulière. © Pierre Catanès

Klavdai Shevelada (1913-1974) et son frère Alexander Shevelev (né en 1910) ont également appris à produire les jouets dans leur famille. Venant du village de Tokarevo, leurs parents, paysans, faisaient aussi de la poterie et des jouets en hiver. Alexander exerçait à Kargopol et il fut le premier à enseigner son savoir aux jeunes artistes des ateliers de Kargopol. La coopérative d’artisans Belomorskiye Uzory (« Modèles de la Mer Blanche ») a été créée en 1967 pour développer l’artisanat de la région d’Arkhangelsk et est toujours en activité. Les deux sifflets en forme de colombe de la collection du MuCEM sont caractéristiques des modèles de cette coopérative.

Les jouets les plus fréquents de Kargopol sont les animaux : béliers, chevaux, cochons et ours, toujours anthropomorphisés, mais les figurines anthropomorphes, boyards à large barbe (ill. 3) ou femmes portant souvent un enfant, sont les plus caractéristiques de la région.

Contrairement à d’autres centres, rares sont les sifflets parmi les figurines anciennes. On connaît un sifflet globulaire au corps d’oiseau et à tête d’homme, réalisé en 1940 par Ivan Gruzhinin, mais ce modèle semble exceptionnel, les autres sifflets des années 1930 étant en forme d’oiseau6. Aujourd’hui, les sifflets en forme de colombe rapidement modelés sont fréquents.

Oblast de Kirov

La production de sifflets dans cette région est dominée par Kirov, anciennement Viatka, qui comprend aujourd’hui dans ses faubourgs l’ancien village de Dymkovo, célèbre pour la fabrication de jouets en terre cuite. Ce faubourg de Dymkovo a été séparé de Kirov dans ce catalogue pour distinguer la production traditionnelle du village de Dymkovo produite jusqu’au début du xxe siècle de celle de la manufacture de Kirov où a été regroupée la production dans une coopérative à partir des années 1920.

La ville de Viatka a été fondée en 1374 et s’est successivement appelée Khlynov, puis de nouveau Viatka en 1780, puis Kirov en 1934. La ville a connu une croissance forte aux xvie et xviie siècles et de nombreux artisans y travaillaient. Au xixe siècle, Viatka était une localité isolée servant de lieu d’exil politique pour de nombreux intellectuels russes. L’art populaire y connu une période d’épanouissement. La poterie tenait une place importante à côté du travail du bois et de l’osier.

La production la plus célèbre de la région est la fabrication des jouets en terre cuite. Ces figurines sont encore aujourd’hui parmi les objets d’art populaire les plus connus en Russie. Beaucoup de ces jouets sont aussi des sifflets.

Les figurines de Viatka7, mieux connues sous la désignation de « jouets de Dymkovo » du nom du village voisin où elles étaient à l’origine fabriquées, sont indissociables de la fête locale la svistoplyaska (« danse des sifflets », cf. « Le sifflet, usages et symboles »). Très vite, ces jouets ont été diffusés dans une vaste zone et à la fin du xixe siècle, ils étaient largement vendus hors de la région, du Caucase à Moscou.

Dymkovo

Aujourd’hui intégré à la ville de Kirov (anciennement Viatka), Dymkovo, petit village sur la rive gauche de la rivière Viatka en face de Kirov, est célèbre en Russie et dans le monde entier pour ses figurines et sifflets en terre cuite peinte. La collection du MuCEM comprend sept sifflets de ce village datant de la fin du xixe siècle ou du début du xxe siècle.

De très nombreux ouvrages ont été écrits sur les jouets de Dymkovo, se limitant pour la majorité à reproduire les jouets conservés dans les musées nationaux russes ou à reprendre des affirmations fausses ou infondées. Ainsi, certains ont vu dans les nombreuses couleurs de ces jouets l’influence des costumes folkloriques quand, précisément dans cette province, les costumes sont très peu colorés. Ce n’est qu’en 1988 qu’une étude complète fondée sur les textes anciens et l’étude des collections a permis de mieux connaître cette fabrication remarquable8.

Un article de la Gazette de Saint-Pétersbourg de 1856 consacré à la svistoplyaska nous apprend que les jouets vendus à cette fête de Kirov étaient produits dans le village voisin de Dymkovo. Le nombre de fabricants a varié au cours du xixe siècle. Le maximum a été d’environ soixante familles vers 1850 qui se consacraient à la production de figurines en plâtre ou en argile et qui produisaient de 20 000 à 25 000 figurines par an. La production a connu un déclin important dès le milieu du xixe siècle. La fabrication de jouets d’argile a en particulier été concurrencée par celle de figurines moulées en plâtre, fabriquées à bas coût et en grande série. Les figurines d’argile étaient modelées et décorées par les femmes et les enfants âgés d’environ dix ans.

Il est probable que parmi ces familles, seules quelques-unes ont produit des sifflets, ce qui expliquerait l’homogénéité des modèles anciens.

Anna Afanasyena Mezrina (1853-1938) est la première fabricante de jouets dont il soit fait mention en 1896, quand furent exposés dix-huit poupées et jouets d’argile de sa production. A.A. Mezrina avait appris à modeler ces jouets avec sa mère Daria Nikulina et sa grand-mère. Sa sœur, Maria A. Laletina (décédée en 1942) avait aussi appris ce métier qui était l’unique source de revenus de la famille. Elle a modelé des figurines dans les années 1910 et 1940, par intermittence.

« Nourrice », attribué à A.A. Mezrina, vers 1900. Marseille, MuCEM (DMHX1942.1.13). © MuCEM, Dist. RMN-Grand Palais / Image MuCEM

Ill. 4 : « Nourrice », attribué à A.A. Mezrina, vers 1900.
Marseille, MuCEM (DMHX1942.1.13).
© MuCEM, Dist. RMN-Grand Palais / Image MuCEM

« Nourrice », attribué à A.A. Mezrina, vers 1900. Marseille, MuCEM (DMHX1942.1.14). © MuCEM, Dist. RMN-Grand Palais / Image MuCEM

Ill. 5 : « Nourrice », attribué à A.A. Mezrina, vers 1900.
Marseille, MuCEM (DMHX1942.1.14).
© MuCEM, Dist. RMN-Grand Palais / Image MuCEM

Mariée à un cordonnier, A.A. Mezrina fabriqua d’abord des jouets pour améliorer le revenu familial puis, en 1913, au décès de son mari, cette production devint la seule source d’argent de la famille. Aidée par ses filles Olga et Alexandra qu’elle avait formées, elle devait parfois travailler jusqu’à dix-huit ou vingt heures par jour. Elle raconta plus tard comment elles travaillaient jusqu’à l’épuisement sans jamais réussir à gagner un peu d’argent, devant aller voir les acheteurs pour obtenir les 30 kopecks que lui rapportait un sifflet. Même si sa production était présentée lors de toutes les expositions qui se sont déroulées à la fin du xixe et au début du xxe siècle, ce n’est qu’avec la révolution que sa situation matérielle a changé.

Dans les années 1910, la production de jouets de Dymkovo avait quasiment disparu. La révolution communiste va lui redonner vie.

En 1919, Lénine signa un décret dans le but de soutenir l’industrie domestique et l’artisanat, patrimoine culturel précieux du passé et du présent. Il fut décidé d’ouvrir des écoles d’art dans le pays. En 1920, un musée du Jouet fut créé à Moscou pour mettre à l’honneur le jouet populaire, mais aussi accompagner leur production car l’exportation de jouets artisanaux était une source importante de devises. Le peintre paysager Alexeï L. Denchine (1893-1948), qui avait étudié les jouets de Viatka et photographié les artistes qui les fabriquaient, donne alors des conférences et fait entrer cette production dans les musées locaux et nationaux. Il publie un album regroupant une cinquantaine de dessins de jouets. C’est la première fois que ces jouets ne sont plus vus comme des objets d’ethnographie mais comme des œuvres d’art. Admirant spécialement Anna Afanasyena Mezrina, il va mettre en avant son travail. Cette femme, déjà âgée, va alors produire dans les années 1920 de multiples figurines aujourd’hui conservées dans les musées. Son style évolue sous l’influence de Denchine. Elle fut le premier artisan à recevoir une pension d’État à vie et elle marqua fortement le développement ultérieur de la production de Dymkovo. Sa fille Alexandra travailla avec elle jusqu’en 1934 et il est très difficile de distinguer sa production de celle de sa mère.

Contrairement aux poupées d’argile où s'exprime la créativité des artistes, les modèles anciens de sifflets sont peu nombreux et leur forme est très stéréotypée. Il faut sans doute y voir le résultat d’une longue tradition où les formes se sont peu à peu fixées. Seuls quelques détails permettent de différencier parfois les fabricants (longueur du museau du cheval, forme des cornes de la vache ou du mouton, dessin des yeux ou peinture de l’objet). Il est ainsi souvent difficile d’être affirmatif sur le nom de leur créateur.

Le canard est un des modèles les plus fréquents dans les sifflets du xixe siècle, avec le cheval à une ou deux têtes qui rappelle sans doute les anciennes divinités slaves. Sur ces sifflets, les décors sont composés le plus souvent de rangées de points colorés et de bandes de couleurs alternées. Parfois, un soleil est tracé sur le poitrail du cheval comme on le voit aussi sur les jouets de Filimonovo. On rencontre également chèvres, béliers et vaches produits sur un modèle identique au cheval et sur lequel seules les cornes permettent d’identifier l’animal représenté.

Parmi les sifflets de la fin du xixe siècle, on ne connaît que deux modèles anthropomorphes. Le premier représente un cavalier dont le cheval peut avoir une ou deux têtes. L’autre modèle est décrit comme un « homme se promenant ». La présence du sifflet à l’arrière (qui sert aussi à la stabilité) lui donne une inclinaison qui renforce l’impression de dignité de ces « dandys » vêtus d’un long manteau et coiffés d’un chapeau. Le cavalier est un bon exemple de l’expressionnisme des sifflets en terre cuite qui, en peu de détails, évoquent l’essence du personnage représenté. Ainsi, le cavalier n’est suggéré que par son tronc fusionné avec le sifflet.

Plus tardivement, les potiers réaliseront des variantes avec des personnages féminins et multiplieront les modèles en ajoutant certains détails (épaulettes, formes des chapeaux, etc.).

Les sept sifflets anciens conservés au MuCEM sont caractéristiques de la production décrite dans les articles sur Dymkovo au xixe siècle. Leur style peut être rapproché de celui des sifflets conservés dans les musées nationaux russes.

Il est probable que ces objets ont été produits par une des femmes des familles Mezrina-Nikulina et que la majorité sont sans doute des réalisations d’Anna A. Mezrina, qui était, à la fin du xixe siècle et au début du xxe siècle, la principale potière à encore fabriquer ces objets.

Kirov

Malgré la guerre civile qui suit la révolution, le gouvernement soviétique soutient immédiatement l’art populaire. Lénine signe un décret en 1919 définissant les mesures en faveur de l’industrie domestique. Une exposition sur l’art paysan a lieu en décembre 1921 au Musée historique de Moscou, où les objets ne sont plus seulement présentés comme manifestation de la culture matérielle mais également comme objets d’art. Les jouets populaires représentent également une source de devises non négligeable. Ainsi en 1924, deux wagons de jouets artisanaux russes sont expédiés en Allemagne et intégralement vendus.

Lors de la préparation du décret de 1919, les artistes interrogés relèvent la nécessité de créer des écoles et des ateliers. Ainsi, de vieilles femmes sont invitées à enseigner leur technique à la coopérative de production de Viatka « Viatskaïa Igrouchka » (le jouet de Viatka), aujourd’hui appelée « Dymkovskaïa Igrouchka », mais dont le siège est à Kirov. Les meilleures fabricantes rejoignent l’Union des artistes de l’URSS.

C’est en 1933 que Anna Afanasyena Mezrina se voit attribuer une pension à vie et en 1934 que l’usine de figurines de plâtre intègre la production de jouets en argile.

Elizaveta A. Koshkina (1871-1953) a été formée dans les années 1879-1881 par Natalia Nikulina (née vers 1830) qui avait exposé en 1890 à Kazan. Au décès de son mari, elle avait arrêté cette production avant de la reprendre en 1934. Elizaveta I. Penkina (1882-1948) qui avait appris comme ses sœurs à modeler les figurines avec sa mère Evgeniya, mais n’avait plus exercé depuis le début du xxe siècle, reprit également cette fabrication à la même époque. Ces deux artistes seront les figures marquantes des années 1930. Ces deux femmes, puis leurs filles, formeront après guerre les nouvelles créatrices de jouets de la coopérative.

Le style des figurines a peu évolué par rapport à celles produites dans les ateliers artisanaux de Dymkovo. Néanmoins, les pièces cuites dans les fours traditionnels domestiques et les peintures fabriquées à partir de pigments mélangés dans du lait et de l’œuf étaient fragiles, ce qui ne favorisait pas l’exportation. Un travail a été réalisé par la coopérative dans les années 1950, pour améliorer les techniques de cuisson et les peintures synthétiques ont été adoptées. En dehors de ces innovations techniques, les décors et les formes des figurines de Kirov sont restées les mêmes, transmises à chaque génération par les anciennes artistes aux jeunes apprenties.

Les sifflets de la collection DMH1995.26, donnés par Lydia Delectorskaya, témoignent de la fabrication moderne de cette coopérative.

Oblast de Nijni Novgorod

L’oblast de Nijni Novogorod (appelé Gorki de 1932 à 1991) se situe entre l’oblast de Kirov au nord-est et l’oblast de Riazan au sud-ouest. Les jouets en terre cuite fabriqués dans cette région, dont de nombreux sifflets, viennent de la région de Gorodets.

Région de Gorodets

La ville de Gorodets fut fondée au xiie siècle sur les rives de la haute Volga. Plusieurs fois détruite, elle retrouve une certaine prospérité au xixe siècle et est alors réputée pour son artisanat, en particulier la gravure et la peinture sur bois.

La production de petits sifflets de terre cuite est toujours active dans le raïon de Gorodets, en particulier dans les villages de Zhbannikovo, de Ryzhukhino et de Roimino. L’intérêt pour ces sifflets a commencé dans les années 1930 et il n’y a pas de renseignement antérieur sur les origines de cette production. Des sifflets en terre cuite ont été trouvés en fouilles à Gorodets et datés du xiiie siècle, ce qui prouve l’ancienneté de la production. Les anciens habitants se souviennent de Vassily Dudkin qui travaillait avant la Première Guerre mondiale, et dont le nom « Dudkin », qui vient de dudka, « flûte » ou « sifflet » en russe, peut laisser supposer que la tradition des sifflets était ancienne9.

La forme très simple des sifflets de Gorodets, quel que soit l’animal représenté, est également très « archaïque ». L’animal repose sur trois points. Les deux cônes courts à l’avant symbolisent les pattes et l’embouchure du sifflet est à l’arrière. Seule la tête modelée distingue l’animal que le potier veut représenter.

À ces modèles tripodes traditionnels, quelques potiers ont ajouté depuis les années 1930 des sifflets plus réalistes. Le plus célèbre est Larion Potatuyev (1912-1941), dont beaucoup d’œuvres ont été acquises par les musées russes. Certains des sujets qu’il a introduits, comme les soldats jouant du concertina, sont aujourd’hui devenus des modèles classiques. Il est intéressant de constater comment une production peut évoluer par l’introduction d’innovations dues à un artiste.

Les sifflets traditionnels restent majoritairement de petite taille et simples, réalisés par centaines et destinés aux colporteurs qui les offraient aux enfants. Généralement, ils sont peints d’un fond coloré puis de taches de couleurs vives tandis que les oreilles ou les cornes sont soulignées de peintures métallisées. Dans la collection du MuCEM, deux sifflets sont peints d’un décor de style khokhloma. Apparu au xviie siècle dans la région, il est utilisé pour la peinture sur bois et se caractérise par un fin décor floral, généralement rouge et or peint sur un fond noir. Il s’agit, pour les sifflets, d’un emprunt à un autre artisanat pour produire des objets destinés au commerce des souvenirs de voyage et non plus aux enfants.

Oblast de Penza

Située dans le sud-est de la Russie, cette région a été longtemps une zone frontalière. La ville de Penza s’est principalement développée au xviiie siècle. Le village proche d’Abashevo est le centre potier le plus connu de la région, en particulier pour ses jouets qui sont tous des sifflets.

Abashevo

Le village d’Abashevo est célèbre depuis longtemps pour sa poterie. Les jouets anciens qu’on y trouvait ont été collectés par les musées russes pour être exposés à Moscou ou à l’étranger au début du xxe siècle. Nikolai M. Tseretelli (1890-1942), acteur célèbre du cinéma muet soviétique, était aussi un admirateur passionné de l’art populaire et un grand collectionneur de jouets populaires. Il fut le premier à écrire, en 1933, sur l’artisanat d’Abashevo10 et il fut le « découvreur » de Larion Zotkin (1879-1933), fabricant de jouets en poterie, dont la production actuelle visible dans la collection du MuCEM est fortement inspirée. Quand Tseretelli raconte sa visite dans ce village, il précise que tous les fabricants de jouets le renvoient à Larion Zotkin qui fait la fierté de tous. Même si ce potier était sans doute le plus doué, sa production se rattache par les modèles réalisés à la fabrication traditionnelle de sifflets du village.

La production de la fin du xixe siècle conservée dans les musées russes est en terre vernissée, couverte d’une belle glaçure verte. Les modèles sont classiques, cavaliers, femmes portant des oiseaux, béliers. Ce qui caractérise les sifflets de ce centre, c’est la forme allongée des corps des animaux posés sur de courtes pattes, alors que les petites têtes, très expressives, sont placées à l’extrémité de cous très longs. Les cavaliers sont simplement représentés en buste sans les jambes. L’adoption de la peinture pour les sifflets à Abashevo est sans doute apparue au début du xxe siècle.

Un sifflet de la collection du MuCEM (DMH1946.38.72) pourrait témoigner de cette production du début du xxe siècle. Il vient des objets collectés en Russie à la fin du xixe ou au début du xxe siècle par le baron de Baÿe. Ce cervidé a une forme atypique pour un sifflet d’Abashevo, avec son corps globulaire posé sur un socle, mais cette façon de modeler les sifflets n’est pas isolée parmi les sifflets anciens conservés du village11. Il est couvert d’une peinture rouge brillante et de traits dorés, une caractéristique dans ce village.

La majorité des sifflets d’Abashevo des années 1930, conservés dans les musées, ont été réalisés par Larion Zotkin. Il n’était pas le seul à fabriquer des sifflets dans ce village : les potiers étaient aussi des paysans qui travaillaient l’argile en automne et en hiver. Près de deux cents potiers travaillaient au village en 1900. Les enfants apprenaient le métier dès huit ans et il ne faut pas s’étonner de voir là, comme souvent, de véritables « dynasties » de potiers et de fabricants de jouets.

Militaire et femme portant un bélier-sifflet sous le bras, Solovjev E. Valentinovitch, élève d’Akinfy Zotkin, Abashevo, 2009. Coll. particulière. © Pierre Catanès

Ill. 6 : Militaire et femme portant un bélier-sifflet sous le bras, Solovjev E. Valentinovitch, élève d’Akinfy Zotkin, Abashevo, 2009.
Coll. particulière. © Pierre Catanès

Cet artisanat déclinait depuis le début du xxe siècle, et dans les années 1960, il avait presque disparu. Le directeur de l’atelier de poterie de la ville de Spassk, dans l’oblast de Penza, s’intéressa alors à cette production et demanda aux derniers potiers d’Abashevo de fabriquer des jouets pour son atelier. Parmi ceux-ci, c’est principalement Timofei N. Zotkin (né en 1930) qui travailla pour cet atelier. Akinfy Zotkin (1883-1974), frère de Larion Zotkin, y réalisa aussi, pendant quelques mois en 1969-1970, environ six mille sifflets en terre glaçurée et peinte de taches colorées, avant de devoir arrêter pour des problèmes de santé.

Aujourd’hui, de nouveaux potiers ont succédé à ces anciens maîtres, mais les modèles traditionnels sont toujours fabriqués (ill. 6). On peut noter que, contrairement à la majorité des centres de production de sifflets russes, ce sont les hommes et non les femmes qui fabriquaient les jouets et les sifflets.

Les figurines sont peintes d’une seule couleur et rehaussées de peinture dorée ou argentée, plus rarement d’une autre couleur. Les formes sont presque identiques entre tous les potiers : cavaliers, femmes portant souvent un oiseau-sifflet sous le bras, oiseaux, cerfs, etc.

Les sept sifflets de la collection DMH1995.26 collectés par Lydia Delectorskaya sont typiques de la production des potiers traditionnels d’Abashevo et de leurs successeurs actuels.

Oblast de Pskov

Deux sifflets de la collection du MuCEM ont été collectés en 1938 lors d’une mission du MH en Estonie, dans la région du Setumaa. Ils ont été collectés dans la région frontalière rattachée à la Russie en 1944. Le nom de Gorlanovo, lieu d’origine indiqué pour ces sifflets, correspond à un village frontalier situé aujourd’hui du côté russe de la frontière dans l’oblast de Pskov, selon le traité de 1995 fixant les nouvelles frontières. D’autres objets récoltés pendant cette mission en Estonie viennent ainsi de Petseri, ville rattachée également à l’oblast de Pskov en Russie en 1944.

Le Setumaa (« terre de guerre », en langue setu) est la région des Setu, peuple autochtone du sud de l’Estonie et de la Russie, parlant le setu (une langue sud-estonienne), l’estonien et souvent le russe. Ils sont aujourd’hui environ 10 000, de confession orthodoxe, liés aux vieux-croyants (contrairement à la majorité des Estoniens qui sont luthériens) et habitent dans leur quasi-totalité en Estonie (Põlvamaa et Võrumaa) et en Russie (oblast de Pskov). Les Setu ont conservé longtemps les coutumes, les chants et les anciens rites slaves en les intégrant aux rites chrétiens.

Les deux sifflets de la collection du MuCEM ont été trouvés par Leonide Zouroff chez des paysans de cette minorité. Il indique simplement, dans les notes accompagnant ces objets, que ces sifflets ne sont plus fabriqués. Nous ne sommes pas sûrs qu’ils aient été produits par la minorité setu. D’autres minorités produisaient de tels objets dans le nord de la Russie. Les Vepses, minorité finno-ougrienne aujourd’hui représentant moins de 10 000 personnes, vivant dans les oblasts de Vologda, d’Arkhangelsk et de Leningrad, produisait ainsi des sifflets dans les villages situés sur les rives de la rivière Oyat.

On peut noter que, contrairement à la majorité des sifflets russes, ceux des Vepses comme ceux collectés chez les Setu et présents dans la collection du MuCEM, étaient réalisés avec une grande finesse d’exécution et vernissés.

Oblast de Riazan

Située dans la plaine de l’Europe orientale, cette région était en bordure du territoire russe et fut souvent envahie. Elle correspond à l’ancienne principauté de Riazan qui exista du xiie au début du xvie siècle avant d’être annexée au grand-duché de Moscou.

La production de sifflets est connue dans plusieurs centres. Celle de Skopine a été très importante au début du xxe siècle. Contrairement à cette grande ville, Vyrkovo a surtout réalisé des jouets destinés à une clientèle locale. À ces deux centres, dont les sifflets sont présents dans les collections des musées nationaux russes, on peut ajouter le village d’Aleksandro Praskovinka, dans le raïon de Sapozhok. C’est au collectionneur Gennadi Blinov qu’on doit cette découverte12. Ce village est un village potier important, orienté vers la fabrication de céramiques communes. Lors d’une visite de ce village en 1971, Blinov a découvert une production de jouets peints proches de ceux de Khludnevo (oblast de Kalouga). Plusieurs femmes réalisaient encore à cette date ces sifflets peints de couleurs vives.

On constate, avec ce village mais aussi avec d’autres centres découverts par Blinov lors de ses visites dans les villages potiers russes, que, malgré les nombreux ouvrages écrits sur l’art populaire russe, beaucoup de centres de fabrication de sifflets inconnus de la littérature étaient encore actifs à la fin du xxe siècle.

Skopine

La ville de Skopine est une des plus anciennes villes de l’oblast de Riazan. L’industrie de la céramique y connut un certain développement grâce à la présence de gisements d’argile importants, proches de la ville. La production ancienne est une production utilitaire et classique de vaisselle, carreaux ou briques mais, à partir de la deuxième moitié du xixe siècle, apparaît une production figurative de très grande qualité. Les récipients ou les chandeliers sont décorés de figurines zoomorphes.

Les potiers modèlent également ces figurines isolément. Skopine comptait cinquante ateliers de potiers vers 1900, et une certaine émulation les poussaient à réaliser des modèles de plus en plus complexes. La céramique de Skopine rencontre beaucoup de succès et se voit diffusée à Moscou, à Riazan et dans beaucoup de villes du sud de la Russie ou de l’Ukraine. Ces créations sont présentées au début du xxe siècle dans de nombreuses expositions d’artisanat en Russie, et même en 1900 à Paris, entrant ainsi dans les collections de nombreux musées.

Beaucoup des jouets de Skopine sont de la vaisselle miniature ou des sifflets. Dans les sifflets de la collection du MuCEM, cinq proviennent probablement de ce centre.

Différents modèles de sifflets ont été produits à Skopine. On retrouve des cavaliers, des ours tenant parfois des fleurs, et beaucoup d’autres animaux, souvent associés en groupe, comme par exemple la poule et ses poussins ou le chien et son petit. Le musée d’ethnographie de Genève en possède une série dont plusieurs sont proches de ceux de la collection du MuCEM13. On peut ainsi y admirer un sifflet représentant une femme en train de traire une vache avec le veau allongé devant. Ces sifflets sont en terre vernissée, couverts des glaçures usuelles vertes ou marron.

Vyrkovo

Trois sifflets en forme de cavalier ou de cheval à deux têtes présents dans la collection du MuCEM viennent de Vyrkovo dans le raïon de Kassimov. On ne connaît que peu de chose sur la production de jouets dans ce village. Ces trois sifflets sont facilement identifiables grâce à leur style très caractéristique. Le corps des animaux est exagérément allongé. Un long tube sifflant est placé à l’emplacement de la queue, et la fenêtre s’ouvre sur le côté. Ces mêmes caractéristiques se retrouvent sur les sifflets des années 1930 du village de Vyrkovo, conservés dans les musées russes, et qui sont l’œuvre de Kuzma Antonov (1890-1946)14. Les jouets fabriqués par ce potier sont des chevaux, des cavaliers, des chiens ou des personnages. Les chiens ou les chevaux sont aussi réalisés sans tube sifflant.

Les sifflets du MuCEM proviennent de la collection de Nathalie Ehrenbourg-Mannati, achetée lors d’une exposition d’art populaire en 1907-1908. Ils sont sans doute l’œuvre de Kuzma Antonov ou de la génération précédente auprès de qui il a dû se former.

Oblast de Smolensk

Très peu de sifflets ou de jouets de terre cuite sont connus de l’oblast de Smolensk, situé dans l’ouest de la Russie, à la frontière avec la Biélorussie. Seules quelques pièces des années 1920 sont conservées au musée des Jouets de Zagorsk, et viennent de la ville de Sytchiovka dans le district de Viazma.

Sytchiovka

Les rares sifflets de cette petite ville conservés dans les musées datent des années 1920. Ce sont des sifflets à eau et de petites flûtes à quatre trous. On peut distinguer deux modes de fabrication pour ces jouets. D’une part, on trouve des sifflets simplement modelés et décorés de bandes peintes. Il s’agit de flûtes et de sifflets à eau formés d’un simple vase hémisphérique dans lequel est insérée une longue flûte. L’autre type de production est soigné. Elle est l’œuvre d’un potier professionnel. Un sifflet à eau est ainsi tourné en forme de petit vase, et recouvert d’une glaçure marron sur la moitié supérieure15.

Le sifflet DMH1890.2.29 du MuCEM entré dans les collections du musée du Trocadéro en 1890 est assez proche de ce dernier sifflet, même si son haut col diffère du col simplement évasé de l’exemplaire du musée de Zagorsk. Son attribution à Sytchiovka reste donc incertaine. Il est probable que d’autres centres potiers proches des grandes villes ont, à la fin des années 1800, fabriqué de tels modèles de sifflets à eau, destinés en particulier aux populations aisées de Moscou ou de Saint-Pétersbourg.

Bien que très rares dans la production russe du xxe siècle, les sifflets à eau ne sont pas inconnus dans la production ancienne. Ils ont peut-être été copiés sur les modèles de pays voisins pour répondre à la demande des villes. Ainsi, un sifflet à eau du xviie siècle en céramique noire non glaçurée, et également tourné en forme de vase au haut col évasé, a été trouvé en fouilles en 1975 à Moscou16.

Oblast de Toula

La production de sifflets dans l’oblast de Toula est connue par deux centres potiers : Bolshie Gonchary, un faubourg de la ville de Toula qui produisait au xixe siècle des jouets destinés à la clientèle urbaine, et Filimonovo, dont les jouets colorés représentant des femmes portant des poules sous le bras ou des scènes de traite de vache reflètent la vie villageoise.

Les décors pastel de Bolshie Gonchary s’opposent aux rayures vives qui couvrent les sifflets de Filimonovo mais, malgré ces différences, une impression de parenté se dégage à l’observation des sifflets des deux centres, parenté qui provient de l’aspect élancé des personnages. Certains modèles sont également communs, comme la femme trayant une vache dont un exemplaire de Bolshie Gonchary a été conservé et qui se retrouve parmi les sifflets de Filimonovo. Il existe donc bien un style particulier des sifflets de la région de Toula.

Bolshie Gonchary (Toula)

Bolshie et Malie gonchary (Grande et Petite-Poterie) sont aujourd’hui deux rues des faubourgs du sud-ouest de Toula. L’argile présente sur place a permis à l’industrie potière de s’y développer depuis l’origine de cette ville. La production des jouets en terre cuite semble être apparue au xixe siècle dans la rue des « grands potiers » (bolshie gonchary).

Ces jouets étaient destinés à la clientèle urbaine. Ils figurent parmi les plus beaux jouets populaires russes17. Ils ont été exposés pour la première fois à Moscou au début des années 188018 et furent acquis en majorité par le Musée russe. Les modèles les plus nombreux sont les femmes élégantes avec leurs ombrelles, les soldats ou les nourrices avec un enfant. On note dans ces réalisations une forte influence des figurines en porcelaine.

Ces jouets étaient appelés dans les années 1830-1870 les « petits princes ». Leur style est immédiatement identifiable. De grande taille, les corps sont exagérément allongés comme dans le centre potier voisin de Filimonovo. Les yeux peints sur de petites têtes sont parfois représentés de façon réaliste, mais le plus souvent, ce sont deux cercles peints vers le bas du visage surmontés par d’immenses sourcils qui donnent un aspect étrange à ces visages. L’apparente maladresse de ces représentations est contredite par la qualité du modelage des vêtements et le soin apporté à la peinture. Malgré l’aspect très statique des personnages, les attitudes sont élégantes. Toutes ces figurines semblent l’œuvre du même potier mais on ne possède aucun renseignement sur l’atelier dont elles sont sorties et leur fabrication demeure mystérieuse.

À partir du début du xxe siècle, ces figurines ne sont plus mentionnées dans les descriptions des jouets de Toula, ce qui laisse penser que la production était éteinte à cette époque.

C’est grâce aux objets achetés par le musée de l’Homme en 1956 à la fille de Nathalie Ehrenbourg-Mannati que le MuCEM possède un ensemble important de jouets de ce centre potier (coll. DMH1956.3). Nathalie Ehrenbourg-Mannati avait réuni une collection de près de trois cents objets lors d’une exposition d’art populaire à Petrograd en 1907-1908. Parmi les objets rachetés à son héritière, on trouve quatre figurines caractéristiques de ce centre (ill. 7 à 10) et deux sifflets. Les sujets des figurines sont semblables à ceux des années 1880 conservés au Musée russe. La représentation du visage montre de légères différences de style. Elles s’expliquent par une production postérieure de trente ans à la période d’acquisition des jouets des musées russes. Ces réalisations sont sans doute parmi les dernières de ce village où la production, destinée à une clientèle urbaine et aristocratique, s’est peut-être interrompue avec la révolution de 1917.

Religieuse, Bolshie Gonchary, fin du XIXe siècle. Marseille, MuCEM (DMH1956.3.7). © MuCEM, Dist. RMN-Grand Palais / Image MuCEM

Ill. 7 : Religieuse, Bolshie Gonchary, fin du XIXe siècle. Marseille, MuCEM (DMH1956.3.7).
© MuCEM, Dist. RMN-Grand Palais / Image MuCEM

Elégante, Bolshie Gonchary, fin du XIXe siècle. Marseille, MuCEM (DMH1956.3.26). © MuCEM, Dist. RMN-Grand Palais / Image MuCEM

Ill. 8 : Elégante, Bolshie Gonchary, fin du XIXe siècle. Marseille, MuCEM (DMH1956.3.26).
© MuCEM, Dist. RMN-Grand Palais / Image MuCEM

Nourrice, Bolshie Gonchary, fin du XIXe siècle. Marseille, MuCEM (DMH1956.3.25). © MuCEM, Dist. RMN-Grand Palais / Image MuCEM

Ill. 9 : Nourrice, Bolshie Gonchary, fin du XIXe siècle.
Marseille, MuCEM (DMH1956.3.25).
© MuCEM, Dist. RMN-Grand Palais / Image MuCEM

Couple de danseurs, Bolshie Gonchary, fin du XIXe siècle. Marseille, MuCEM (DMH1956.3.6). © MuCEM, Dist. RMN-Grand Palais / Image MuCEM

Ill. 10 : Couple de danseurs, Bolshie Gonchary, fin du XIXe siècle. Marseille, MuCEM (DMH1956.3.6).
© MuCEM, Dist. RMN-Grand Palais / Image MuCEM

Parmi les jouets conservés au Musée russe, un cavalier-sifflet très proche de celui conservé dans la collection du MuCEM (DMH1956.3.27) permet de confirmer son attribution à Toula19. Un autre cavalier-sifflet a été acquis par le Museum für Volkskunde de Berlin en 188420. Il porte la même coiffe que le cavalier du MuCEM.

En revanche, aucun modèle semblable au sifflet en forme d’ours de la collection conservée au MuCEM n’a été trouvé dans les fonds russes, mais les formes étirées de l’ours et la couleur de fond mauve sont très caractéristiques des productions de Toula, aussi son attribution à ce centre est probable. Les sifflets en forme d’ours jouant d’un instrument de musique sont classiques parmi les jouets populaires russes en bois ou en terre cuite. Si les cavaliers-sifflets et les figurines évoquent le raffinement de la vie urbaine, celles en forme d’ours nous plongent dans l’univers des traditions slaves ancestrales.

Dans la région de Toula, à Filimonovo, cet animal est représenté avec un miroir ou une coupe. Figure importante du folklore slave, il est associé au dieu Vélès, dieu de la lune et frère du soleil qui accueille les âmes des défunts. Au printemps, on célèbre son réveil lors de la fête de la Komoïéditsa. Il possède plusieurs objets magiques dont le gusli, instrument à cordes pincées, et quand il chante ou joue de la musique, ceux qui l’entendent oublient tout. Il est possible que l’objet que tient l’ours du sifflet soit un krylovidnye gusli, petit gusli de forme allongée qui se tient comme une guitare.

Filimonovo

Avec ceux de Dymkovo, les jouets en terre cuite de Filimonovo sont parmi les jouets populaires les plus connus de Russie. La légende locale veut que ce soit à un dénommé Filimon que l’on doive la découverte de l’argile dans ce lieu qui conduira à l’établissement des potiers dans ce village. C’est à cette terre qu’il faut attribuer la forme allongée très particulière des sifflets de Filimonovo. En effet, cette argile bleue se craquelle fréquemment au séchage et nécessite d’être régulièrement humidifiée en étirant la figurine21.

Leur décor couvert de rayures et parfois de soleils est également caractéristique. À l’origine, seules deux couleurs étaient utilisées.

Cette production était exclusivement réalisée par des femmes, les hommes étant occupés à la production de la poterie utilitaire22.

Très peu de sifflets anciens de Filimonovo ont été recueillis dans les musées russes avant les années 1950 alors que la production avait presque disparu. Cette dernière amorce son déclin dans les années 1920-1930. Seules quelques femmes nées dans les années 1910 la perpétuaient encore, à Filimonovo et dans le village voisin de Krasenki. Cette régression s'arrête à la fin du xxe siècle et plusieurs ateliers ouvrent à Filimonovo.

Le sifflet à eau DMH1890.2.30 témoigne de la production ancienne de ce village. Formé d’un simple vase sphérique dans lequel est insérée une longue flûte tubulaire, son décor peint est très effacé. L’inventaire de la collection réunie pour l’Exposition universelle de 1889 par Egor Pokrovski ne précise pas le lieu de fabrication mais un sifflet semblable acquis en 1925 et conservé au musée du Jouet de Zagorsk permet de confirmer cette attribution23.

Femme, Oblast de Toula (?), vers 1889. Marseille, MuCEM (DMH1890.2.31). © MuCEM, Dist. RMN-Grand Palais / Image MuCEM

Ill. 11 : Femme, Oblast de Toula (?), vers 1889. Marseille, MuCEM (DMH1890.2.31).
© MuCEM, Dist. RMN-Grand Palais / Image MuCEM

Celle du sifflet DMH1890.2.21 est plus incertaine. Si aucun décor peint de rayures ne subsiste, sa forme est très proche de celle des canards-sifflets qui se trouvent sous le bras des fermières ou des soldats du milieu du xxe siècle. Venant de la même collection que le précédent, on peut supposer qu’il provient également du village de Filimonovo. Une autre figurine au décor effacé faisant partie de la même collection rappelle également les productions ultérieures du village (ill. 11).

Les autres sifflets de la collection DMH1995.26 reflètent la production moderne de ce centre où de nombreuses artistes produisent ces jouets qui sont toujours des sifflets. Aux formes traditionnelles des sifflets russes de femmes, cavaliers, béliers, oiseaux et autres animaux, s’ajoutent les soldats nourrissant des poules, les ours se regardant dans un miroir ou les femmes effectuant la traite. Les peintures synthétiques ont remplacé les anciennes peintures artisanales produites avec les pigments servant à teinter la laine mélangés à de l’œuf. Ces anciennes peintures étaient appliquées avec des brosses formées de quelques plumes de poulet. Malgré ces changements, les formes et les décors restent fidèles au style des pièces anciennes.

Oblast de Tver

La région de Tver (anciennement Kalinine) possède une longue tradition de production de jouets en terre cuite dont témoignent des jouets médiévaux trouvés en fouilles dans la ville. Cependant, cette production avait disparu au xxe siècle et on ne trouve pas de mention de ces jouets dans les ouvrages sur l’art populaire russe. C’est seulement en 1975 que la production de jouets a été relancée. Bien qu’appelés « jouets de Tver », l’atelier de production est situé à Torjok.

Torjok

Ville mentionnée dès le xiie siècle, Torjok est connue pour son artisanat de broderie d’or mais était aussi un ancien centre potier. En 1975, un atelier de production de jouets en terre cuite a été créé. On ne connaît que peu de chose sur son origine. Lilija Zavarzina fut une des premières artistes à y travailler.

Dans la collection du MuCEM, dix sifflets en forme de coq, de dindon ou d’oiseau proviennent de ce centre, ainsi qu’un sifflet en forme de renard.

Ces figurines sont immédiatement identifiables par leur décor fait d’écailles ou de gouttes d’eau de couleurs vives et brillantes peintes en relief. Ces élégants motifs s’opposent à la sobriété de la terre marron laissée brute. Ces sifflets sont toujours produits aujourd’hui. Il en existe plusieurs dizaines de modèles.

Oblast de Kalouga

Les sifflets de l’oblast de Kalouga appartiennent à la production du sud de la Russie avec ceux des oblasts d’Orel, de Koursk ou de Lipetsk voisins. Les sifflets de cette région sont de petite taille, modelés sans souci du détail et peints de traits ou de taches de couleurs vives. On peut noter certaines similitudes avec les sifflets de Filimonovo, de l’oblast de Toula voisin.

Khludnevo

Le village de Khludnevo, dans le district de Duminichsky, possède une longue tradition potière sans qu’on puisse dater l’apparition de cet artisanat. Les habitants du village savent seulement que le village était autrefois entièrement dédié à cette production. La majorité des jouets possèdent un sifflet globulaire de petite taille qui, soit termine le corps de l’animal comme dans le cas des sifflets de la collection du MuCEM, soit forme la queue de la monture des cavaliers, à moins qu’il ne soit appliqué sur le jouet à la base de la jupe des figurines de paysannes. Deux petits trous de jeu sont généralement percés dans ces sifflets pour moduler des trilles aigus24.

Les femmes du village modelaient également des hochets, soit de simples cylindres, soit des figurines féminines.

Oblast de Koursk

Les sifflets de l’oblast de Koursk appartiennent à la production du sud de la Russie avec ceux des oblasts d’Orel, de Kalouga ou de Lipetsk voisins. Les sifflets de cette région sont de petite taille, modelés sans souci du détail et peints de traits ou taches de couleurs vives.

Kozhlya est le principal village où étaient fabriqués les jouets et les sifflets en terre cuite dans l’oblast de Koursk.

La production de ce village était très importante et largement diffusée, cependant d’autres potiers réalisaient aussi des jouets dans le village de Dronyaevo et les hameaux des alentours.

Plus récemment, Jurij Spesivcev a contribué à faire redécouvrir la poterie de la région de Sudja, qui existait depuis le xviie siècle. Venant d’une famille de potiers et ayant commencé à modeler l’argile à six ou sept ans comme le voulait la tradition, il réalise de grandes figurines ou des récipients zoomorphes en terre vernissée ainsi que des sifflets.

Kozhlya

Kozhlya est un village situé à côté de Koursk. La production de jouets y était très importante. Elle pourrait avoir comme origine l’Ukraine voisine d’où seraient venus les premiers habitants du village.

La première mention de ces jouets date de 1837 lorsque dans un ouvrage intitulé Fêtes traditionnelles russes et rites païens (Russkie prostonarodnj’e prazdniki i suevernj’e obrjadj’), Ivan M. Snegirev écrit qu’à Koursk, à la Saint-Georges, on vendait des vaches et d’autres animaux d’argile produits à Kozhlya.

D’après Uljana Kovkina (1902-1994), fabricante de jouets, il y avait environ quatre cents maisons dans le village et on réalisait des jouets dans au moins cent vingt de ces foyers25. Les hommes tournaient les pots et les femmes modelaient des sifflets. Les enfants commençaient à réaliser ces objets dès sept ou huit ans. La production se faisait à partir de l’automne, quand les travaux des champs étaient terminés, pour que les articles soient prêts pour le printemps et les foires de l’été. Le marché se tenait le dimanche et une foire avait lieu cinq fois par an, mais les jouets se vendaient mal puisque tout le monde en produisait. Aussi, ceux qui possédaient un cheval allaient les vendre dans les villes voisines. Un jouet s’échangeait contre un œuf, lui-même éventuellement revendu. Ceux qui n’avaient pas de cheval vendaient leurs jouets à des marchands.

Cet artisanat a presque disparu sous l’époque soviétique où la population valide du village dut aller travailler dans les fermes collectives, mais le déclin avait commencé dès le début du xxe siècle. Il ne restait plus que trois femmes au milieu du xxe siècle pour produire ces sifflets. Ulyana Kovkina, déjà citée, sa sœur Olga Deriglazova (1912-2004), et enfin Valentina Kovkina (née en 1922).

Heureusement, au début des années 1980, cette production fut sauvée : Olga Deriglazova puis Valentina Kovkina ont commencé à transmettre aux écoliers l’art de la fabrication des sifflets, et plusieurs jeunes potiers produisent aujourd’hui des sifflets à Kozhlya.

Les jouets de cette commune sont de petite taille et presque toujours des sifflets. Les modèles représentent souvent des animaux (vaches, chèvres, etc.) et ils sont parfois représentés jouant d’un instrument de musique, trompette, balalaïka... Ils sont décorés de taches de couleurs ou d’étoiles formées de six ou huit traits croisés. On trouve également comme décor des lignes formées de petits traits parallèles comme dans d’autres centres potiers russes. Les couleurs utilisées, vives, sont le bleu, le rouge, le jaune et le vert.

1 Irina Jakovlevna Boguslavskaja, Russian Folk Toys in the Collection of the Russian Museum, Saint-Petersburg, Palace Edition, 2002, p. 11.

2 Gennadi Blinov, Russian Folk-Style Figurines. A Collector’s Notes, Moscou, Raduga Publishers, 1983.

3 Egor Pokrowski, « Matériaux pour servir à l’étude de l’éducation physique chez les différents peuples de l’empire russe », Revue d’ethnographie, t. 7, Paris, Ernest Leroux éditeur, 1889 , fig. 11, p. 533.

4  Gennadi Blinov, op. cit., p. 58-60.

5 Si la production d’Ivan Druzhinin est bien documentée, celle des autres fabricants de jouets du xxe siècle est connue grâce à Gennadi Blinov qui se rendit de nombreuses fois dans cette région. Ibid., p. 41-54.

6 Irina Jakovlevna Boguslavskaja, Russkaja glinjanaja igruška [Jouets russes en terre cuite], Leningrad, Iskusstvo, 1975, p. 62 : ill. 56 et p. 139 : notice.

7 On utilise de préférence le nom de Viatka en parlant de ces jouets même si la ville s’appelle Kirov depuis 1934.

8 Irina Jakovlevna Boguslavskaja, Dymkovskaja igruška [Jouets de Dymkovo], Dymkovo Toys, Leningrad, Hudožnik RSFSR, 1988.

9 Gennadi Blinov, op. cit., p. 66-68.

10 Nous n’avons pu consulter cet ouvrage « N. M. Tseretelli, Russkaia krest’ianskaia igushka, Moscou, 1933 » cité par Blinov : Ibid., p. 115-120.

11 On connaît ainsi un coq vernissé vert au Musée russe. Cf. Irina Jakovlevna Boguslavskaja, Russian Folk Toys in the Collection of the Russian Museum, op. cit., notice et ill. 48.

12 Gennadi Blinov, op. cit., p. 91-92.

13 Nos inv. ETHEU 030074 à 030077, 030081, 030082.

14 Les sifflets de cet auteur conservés au Musée russe sont reproduits dans Irina Jakovlevna Boguslavskaja, Russian Folk Toys in the Collection of the Russian Museum, op. cit., notice 31 et ceux du musée de Zagorsk dans Galina Ljvovna Dajn,Russkaja igruška : iz kollekcii Hudožestvenno-pedagogičeskogo muzeja igruški [Russian toys from the collection of the Zagorsk Museum of Toys], APN SSSR (Academy of pedagogical sciences, USSR), g. Zagorosk (town of Zagorsk), Moscou, Sovetskaja Rossija, 1987, ill. p. 39 et notice 30 p. 180. 

15 Ibid., ill. p. 13 et notice 6 a, c, d, f p. 178.

16 Ce sifflet est conservé au musée du Kremlin.

17 Gennadi Blinov, op. cit., p. 76-80.

18 Irina Jakovlevna Boguslavskaja, Russian Folk Toys in the Collection of the Russian Museum, op. cit., p. 17-18.

19 Irina Jakovlevna Boguslavskaja, Russkaja glinjanaja igruška [Jouets russes en terre cuite], op. cit., p. 102 : ill. 107 et p. 141 : notice.

20 Heide Nixdorff, Tönender Ton. Tongefäßflöten und Tonpfeifen aus Europa, Berlin, Staatlicher Museen Preußischer Kulturbesitz, 1974, notice 72, no inv. II B 2856.

21 Irina Jakovlevna Boguslavskaja, Russian Folk Toys in the Collection of the Russian Museum, op. cit., p. 15.

22 Gennadi Blinov, op. cit., p. 70.

23 Galina Ljvovna Dajn , op. cit., p. 178 : notice 6-e, p. 13 : ill.

24 Gennadi Blinov, op. cit., p. 88-90.

25 Ibid., p. 93-98.