Les techniques de fabrication des sifflets

Les techniques de fabrication d’un sifflet diffèrent peu de celles mises en œuvre pour les autres poteries usuelles. Nous rappellerons ici les étapes successives qui permettent aux potiers de transformer l’argile brute en un objet manufacturé en détaillant les spécificités de la réalisation d’un sifflet.

La préparation de la terre

L’extraction et la préparation de la terre sont des opérations physiques et pénibles mécanisées peu à peu en Europe au cours du xxe siècle. Les témoignages des fabricants de sifflets ne diffèrent en rien des récits des autres potiers. L’argile était extraite dans des carrières à proximité de l’atelier. L’extraction se faisait en galeries descendantes ou à ciel ouvert. Les fosses pouvaient être profondes de plusieurs mètres et ce travail était dangereux. Pour éviter les éboulements dans ces puits, même étayés, l’extraction de l’argile se déroulait souvent en hiver, quand la terre était gelée. Plusieurs carrières étaient parfois utilisées pour mélanger des argiles aux propriétés différentes. Dans le cas de la fabrication de sifflets, les potiers recherchaient en priorité des argiles fines si elles étaient disponibles. Ainsi, en Russie, beaucoup de potiers utilisaient une argile bleue. Dans la Sarthe, les coucous de Prévelles étaient réalisés majoritairement en terre blanche.

De retour à l’atelier, la terre était ensuite mise à « mûrir », c'est-à-dire laissée sur une aire extérieure durant un automne et un hiver pour que, sous l’action de la pluie et du gel, les mottes se séparent en petits granules. L’argile pouvait être ensuite battue et écrasée avec une masse. La terre reposait encore plusieurs mois. Elle était de nouveau malaxée pour être réduite toujours plus finement avant d’être utilisée. Le malaxage se faisait en pétrissant la terre au pied. Elle pouvait être aussi « lavée », c'est-à-dire additionnée d’eau pour obtenir une boue qui était laissée à décanter. Il fallait, à chaque étape, retirer les impuretés et les cailloux les plus petits qui, en cas d’oubli, faisaient éclater les pièces à la cuisson.

Les malaxeurs mécaniques ont simplifié peu à peu ce travail. Actuellement, beaucoup de fabricants de sifflets, comme presque tous les potiers, utilisent des terres préparées de façon industrielle et provenant de grandes carrières.

Le façonnage

Les principales techniques de façonnage de la céramique sont utilisées dans la production des sifflets et sont souvent associées.

Sifflet modelé en forme de cavalier. Pignataro di Broccostella, Lazzio, Italie, début du XXe siècle. Coll. particulière. © Pierre Catanès

Ill. 1 : Sifflet modelé en forme de cavalier. Pignataro di Broccostella, Lazzio, Italie, début du xxe siècle.
Coll. particulière. © Pierre Catanès

Le modelage, technique la plus ancienne, est toujours largement employé. Il sert à former de nombreuses figurines et parfois les récipients des sifflets à eau. Le plus souvent, c’est ainsi que sont également réalisés les sifflets tubulaires insérés dans les figurines ou dans les récipients des sifflets à eau.

Les figurines modelées peuvent être à corps plein ou à cavité interne globulaire. Celles à corps plein sont parfois formées de façon très sommaire à partir de quelques boudins d’argile. C’est le cas des siurells des îles Baléares ou encore de certains sifflets italiens (ill. 1). Les réalisant en quelques gestes, le potier peut leur donner un aspect très vivant. En partant d’une base commune, il ajoute les éléments caractéristiques du sujet qu’il veut représenter et varie ainsi ses créations. Le même type de sifflet devient bélier, taureau, cheval ou poule par le simple ajout de cornes, d’oreilles ou d’une crête. Une incision suffit à former une bouche et l’imagination permet de voir des yeux ou un nez dans les quelques points dessinés sur la tête.

Sifflet modelé en forme de taureau. Andújar, Andalousie, Espagne, vers 1950. Coll. particulière. © Pierre Catanès

Ill. 2 : Sifflet modelé en forme de taureau. Andújar, Andalousie, Espagne, vers 1950.
Coll. particulière. © Pierre Catanès

Les techniques pour former ces animaux ou ces personnages, transmises de génération en génération, sont multiples et très codifiées. Par exemple, le potier peut former le corps et la tête d’un cheval à partir d’un même cylindre, étiré et recourbé, et ajouter des cônes pour les pattes. Il peut également réunir deux boudins pliés en arc pour former le corps et les quatre pattes et en ajouter un à l’avant pour l’encolure et la tête (ill. 2). Après la finition, le lissage et le décor, il est difficile de deviner les étapes de cette fabrication.

Pour le modelage d’un sifflet globulaire, le potier part généralement d’un morceau conique d’argile. Il le creuse peu à peu entre ses doigts pour former une coupelle. Quand le diamètre maximal est atteint, le potier étire les parois pour refermer la cavité. Ce travail peut prendre plus de quinze minutes quand le potier soigne particulièrement son travail. Un corps à la forme ovoïde sort naturellement de la main du potier. C’est la base de nombreux sifflets globulaires. Seule la tête ajoutée permet de différencier l’animal ou le personnage souhaité par l’artiste. Deux petits cônes à l’avant peuvent représenter sommairement des pattes. Ils servent surtout à stabiliser l’objet.

Sifflet modelé en forme de coq. Nibelle, Orléanais, France, début du XVIIe siècle. Coll. particulière. © Pierre Catanès

Ill. 3 : Sifflet modelé en forme de coq. Nibelle, Orléanais, France, début du xviie siècle. Coll. particulière. © Pierre Catanès

La technique du modelage ne se limite pas à la création de sifflets aux formes simples. La collection du MuCEM présente de véritables sculptures miniatures réalisées ainsi. C’est, par exemple, le cas des sifflets réalisés en Lettonie par Andrejs Paulāns1.

Souvent, seule l’étude de la face interne des sifflets permet de savoir s’ils ont été modelés ou tournés. C’est le cas des sifflets en forme de coq et de poule (ill. 3) produits au début du xviie siècle à Nibelle (Loiret). L’examen de tessons de ces sifflets permet de constater qu’ils sont modelés, contrairement à leur apparence extérieure qui laisse penser à une base tournée de l’objet.

Le montage au colombin est une autre technique ancienne qui consiste à assembler des cylindres d’argile longs et fins. On réalise ainsi de très grands récipients. Le montage au colombin a parfois été utilisé pour former le corps globulaire de sifflets à eau. Là encore, après finition de la paroi extérieure, il est difficile de reconnaître ce type de façonnage sauf en radiographiant les pièces ou en observant la paroi interne, visible dans le cas des sifflets en forme de cruche ou sur des sifflets en partie brisés. Nous n’avons rencontré que très rarement cette technique et seulement sur des pièces médiévales.

À l’inverse, le tournage est employé couramment par les potiers. Il permet de réaliser rapidement les sifflets globulaires et les récipients des sifflets à eau.

Le potier tourne d’abord une coupelle. S’il veut produire un sifflet à eau en forme de petite cruche, il lui suffit d’ajouter les anses et le sifflet tubulaire.

Sifflet en forme de cheval. Île-de-France, 1re moitié du XVIe siècle. Trouvé en 1876 à Mantes-la-Jolie (Yvelines). Vue du dessus montrant le récipient partiellement refermé. Coll. particulière. © Pierre Catanès

Ill. 4 : Sifflet en forme de cheval. Île-de-France, 1re moitié du xvie siècle. Trouvé en 1876 à Mantes-la-Jolie (Yvelines).
Vue du dessus montrant le récipient partiellement refermé.
Coll. particulière. © Pierre Catanès

Pour former un sifflet en forme d’animal, il replie le haut de la coupelle vers le centre pour la refermer. Sur de nombreux sifflets à eau de la fin du Moyen Âge, la coupelle n’est que partiellement refermée. La partie laissée ouverte permet de remplir le réservoir (ill. 4).

Le potier referme parfois le récipient en pinçant simplement les parois sans chercher à lisser la jointure, ce qui forme un épais bourrelet sur le haut du corps (ill. 5). Le plus souvent, le dessus de l’objet est parfaitement lissé et il n’y a plus de trace de cette étape de fabrication.

Sifflet tourné en forme d’oiseau à bourrelet sur le dos très visible. Rhône-Alpes, France, 1re moitié du XXe siècle. Coll. particulière. © Pierre Catanès

Ill. 5 : Sifflet tourné en forme d’oiseau à bourrelet sur le dos très visible. Rhône-Alpes, France,1re moitié du xxe siècle.
Coll. particulière. © Pierre Catanès






Après avoir refermé ce corps globulaire, il étire ensuite la terre ou ajoute un tronçon d’argile pour modeler la tête. Il perce enfin la fenêtre et le conduit d’insufflation des sifflets globulaires ou insère le tube sifflant des sifflets à eau.

Le potier utilise souvent une technique de tournage spécifique aux petits objets : le tournage « à la quille », encore appelé tournage « à la motte ». Il peut ainsi produire rapidement de nombreux objets à partir d’un cône d’argile (la quille). Cette technique, employée par la famille Massucco d’Aubagne, est détaillée dans la description de ce centre potier.

Fournée de sifflets tubulaires. Conneré (Sarthe), France, 1re moitié du XXe siècle. Coll. particulière. © Pierre Catanès

Ill. 6 : Fournée de sifflets tubulaires. Conneré (Sarthe), France, 1re moitié du xxe siècle. Coll. particulière. © Pierre Catanès

L’insertion du tube sifflant dans le corps globulaire d’un sifflet à eau est une opération délicate. Les premiers sont préparés à l’avance par le potier en petite quantité (ill. 6) avant de tourner les coupelles. Le tube sifflant inséré est donc plus sec. En séchant, la rétractation du récipient autour de ce cylindre peut faire fissurer la paroi. À l’inverse, s’il n’est pas assez bloqué, il peut se décoller malgré le collage avec de la barbotine. Les potiers font souvent ce travail en hiver quand le séchage de la terre est plus lent. Ils peuvent aussi ajouter de l’argile pour renforcer le point d’insertion2.

Les techniques du moulage et du coulage permettent, comme celle du tournage, de réaliser très rapidement des sifflets. Dans le cas du moulage, le potier presse l’argile à l’intérieur du moule pour lui donner la forme souhaitée. Le moule peut être monovalve. On obtient alors une demi-figurine à l’arrière plat (ill. 7). Un court sifflet tubulaire (ill. 8) ou un petit sifflet globulaire (ill. 9) est ensuite ajouté sur le dos de la figurine. Dans d’autres cas, c’est dans le socle de la figurine qu’est percée la partie sifflante.

Sifflet moulé (vue de face). Caltagirone, Sicile, Italie, attribué à Antonino Papale, vers 1900. Coll. particulière. © Pierre Catanès

Ill. 7 : Sifflet moulé (vue de face). Caltagirone, Sicile, Italie, attribué à Antonino Papale, vers 1900.
Coll. particulière. © Pierre Catanès

Sifflet moulé (vue de profil). Caltagirone, Sicile, Italie, attribué à Antonino Papale, vers 1900. Coll. particulière. © Pierre Catanès

Ill. 8 : Sifflet moulé (vue de profil). Caltagirone, Sicile, Italie, attribué à Antonino Papale, vers 1900.
Coll. particulière. © Pierre Catanès

Sifflet moulé. Campanie (?), Italie, début du XX<sup>e</sup> siècle. Coll. particulière. © Pierre Catanès

Ill. 9 : Sifflet moulé. Campanie (?), Italie, début du xxe siècle.
Coll. particulière. © Pierre Catanès

Sifflet en forme de carabinier à cheval, moulé et modelé. Montefalco, Ombrie, Italie, attribué à Anna Boni et Lorenzo Reali, XXe siècle. Coll. particulière. © Pierre Catanès

Ill. 10 : Sifflet en forme de carabinier à cheval, moulé et modelé. Montefalco, Ombrie, Italie, attribué à Anna Boni et Lorenzo Reali, xxe siècle.
Coll. particulière. © Pierre Catanès

Cette technique est très répandue en Italie pour réaliser les sifflets en forme de carabinier, de saint, etc. Jusqu’au milieu du xxe siècle, c’étaient surtout les santonniers qui l’utilisaient, les potiers préférant le modelage ou le tour.

Dans le cas des cavaliers, plusieurs techniques peuvent être utilisées ensemble. En général, le potier modèle la monture. Le buste du cavalier peut être moulé et, éventuellement, des bras et des jambes modelés sont ensuite ajoutés (ill. 10).

Les potiers utilisent aussi couramment des moules bivalves pour former les sifflets globulaires (ill. 11). Chaque moitié de la figurine est formée en pressant l’argile dans le moule pour qu’elle entre dans tous les reliefs. Les deux moitiés du moule sont ensuite réunies. Après démoulage, le potier lisse la jointure des demi-figurines. Il ne lui reste qu’à percer la partie sifflante et à décorer l’objet.

Un moule, monovalve ou bivalve, s’use et doit être renouvelé, car les détails des objets s’estompent progressivement. Le nouveau moule est souvent réalisé par surmoulage d’un objet produit par le premier. Comme la terre de ce moule se rétracte au séchage, la nouvelle production a une taille légèrement inférieure à l’objet original

Dans le cas de modèles complexes, les potiers peuvent utiliser plusieurs moules pour fabriquer les éléments des personnages et les assembler avec d’autres parties modelées ou tournées à l’aide de barbotine.

Réalisation d'un sifflet - photographie 1
Réalisation d'un sifflet - photographie 2
Réalisation d'un sifflet - photographie 3
Réalisation d'un sifflet - photographie 4
Réalisation d'un sifflet - photographie 5
Réalisation d'un sifflet - photographie 6
Réalisation d'un sifflet - photographie 7
Réalisation d'un sifflet - photographie 8
Réalisation d'un sifflet - photographie 9
Réalisation d'un sifflet - photographie 10
Réalisation d'un sifflet - photographie 11
Réalisation d'un sifflet - photographie 12

Ill. 11 Étapes de la réalisation d’un sifflet aviforme globulaire par Christine Leboeuf, artiste-peintre et céramiste à Salindres (Gard). Prises de vue 2010. © Pierre Catanès (photographies 1 à 11), © Christine Leboeuf (photographie 12)

Une technique particulière de moulage est le coulage. Elle consiste à emplir de barbotine un moule réalisé avec du plâtre, matériau très absorbant. L’eau de la barbotine se diffuse dans le plâtre, aussi la densité de la barbotine en argile est-elle plus élevée près de la paroi. Après quelques minutes, le potier vide l’excédent de barbotine et la pièce est démoulée après séchage. Cette technique est très employée dans les manufactures de faïence ou de porcelaine.

La technique du moulage est employée pour la fabrication des sifflets dans de nombreux pays. En Italie, en Espagne, au Portugal, en Bulgarie, en Allemagne, au Luxembourg ou encore en Pologne, elle permet de produire des figurines soignées à faible coût.

Toutes les techniques peuvent être réunies dans un seul sifflet, comme il a déjà été vu ci-dessus. À la Renaissance, de multiples sifflets étaient fabriqués de la sorte. Le corps globulaire était tourné, le tube sifflant était modelé et des éléments moulés pouvaient être utilisés comme éléments des figurines ou pour le décor.

Sifflet en forme de cheval tourné, moulé et modelé. Île-de-France, 1re moitié du XVIe siècle. Trouvé en 1876 à Mantes-la-Jolie (Yvelines). Coll. particulière. © Pierre Catanès

Ill. 13 : Sifflet en forme de cheval tourné, moulé et modelé. Île-de-France, 1re moitié du xvie siècle. Trouvé en 1876 à Mantes-la-Jolie (Yvelines).
Coll. particulière. © Pierre Catanès

Fragment moulé de sifflet en forme de protomé de cheval. Fosses (Val-d’Oise), Île-de-France, 1re moitié du XVIe siècle. Marseille, MuCEM (1994.44.396). © MuCEM / Pierre Catanès

Ill. 12 : Fragment moulé de sifflet en forme de protomé de cheval. Fosses (Val-d’Oise), Île-de-France, 1re moitié du xvie siècle. Marseille, MuCEM (1994.44.396). © MuCEM / Pierre Catanès

La collection du MuCEM comporte ainsi des éléments moulés en forme de tête de cheval trouvés lors des fouilles du centre potier de Fosses (Val-d’Oise) (ill. 12). Ces mêmes protomés pouvaient être ensuite utilisés pour former des sifflets (ill. 13) ou pour décorer des réchauds de table.

Le perçage du sifflet

Percer la partie sifflante est une action simple en théorie et pourtant difficile à exécuter. Nous avons rencontré de nombreux potiers qui, malgré de nombreuses tentatives, reconnaissaient ne pas arriver à fabriquer des sifflets qui « sonnaient » bien. La qualité du son d’un sifflet dépend du fait que le filet d’air du trou d’insufflation parvienne exactement sur le biseau mais aussi de l’inclinaison de celui-ci comme de l’épaisseur du canal d’insufflation. La moindre imprécision se traduit par une baisse de la qualité du son.

Dans le cas des sifflets à eau, cette précision a une importance moindre et leur fabrication est souvent très sommaire. Le tuyau sifflant pénétrant dans l’eau, le conduit d’air est forcé vers le biseau. Cela explique que certains sifflets à eau ne sifflent pas quand ils sont à sec et produisent des trilles parfaits une fois remplis d’eau.

De même, les courts sifflets tubulaires insérés à l’arrière ou sur le socle des figurines ont l’extrémité fermée et, là également, la précision n’est pas déterminante.

Ainsi au Portugal, pour réaliser ces sifflets (ill. 14), les fabricantes de sifflets roulent simplement un boudin d’argile entre leurs mains (ill. 14 no 1) et le coupent en courts tronçons. Elles enfoncent une baguette (ill. 14 no 2) en laissant un centimètre environ à l’extrémité et replient l’argile autour en laissant une petite fenêtre (ill. 14 no 3 et no 4). Avec un mince bâtonnet, elles percent alors le canal d’insufflation (ill. 14 no 5). Ces courts sifflets sont ensuite insérés sur les socles des figurines (ill. 14 no 6).

Étapes de la fabrication d’un sifflet tubulaire au Portugal. © Éd. Francs et franches camarades, 1977

Ill. 14 : Étapes de la fabrication d’un sifflet tubulaire au Portugal3.
© Éd. Francs et franches camarades, 1977

Perçage d’un sifflet globulaire en forme d’oiseau - photographie 1. © Véronique Durey
Perçage d’un sifflet globulaire en forme d’oiseau - photographie 2. © Véronique Durey
Perçage d’un sifflet globulaire en forme d’oiseau - photographie 3. © Véronique Durey
Perçage d’un sifflet globulaire en forme d’oiseau - photographie 4. © Véronique Durey
Perçage d’un sifflet globulaire en forme d’oiseau - photographie 5. © Véronique Durey
Perçage d’un sifflet globulaire en forme d’oiseau - photographie 6. © Véronique Durey

Ill. 15 : Étapes du modelage et du perçage d’un sifflet globulaire en forme d’oiseau par Véronique Durey, archéologue et céramiste à la poterie des Grands Bois (La Chapelle-Saint-André, Nièvre). © Véronique Durey

Les sifflets de la Sarthe sont fabriqués en perçant le canal d'insufflation puis la fenêtre avec une baguette ronde. Sifflet globulaire-tirelire en forme d'oiseau. Marseille, MuCEM (1888.17.5). © MuCEM / Pierre Catanès

Ill. 15bis : Les sifflets de la Sarthe sont fabriqués en perçant le canal d'insufflation puis la fenêtre avec une baguette ronde.
Sifflet globulaire-tirelire en forme d'oiseau. Marseille, MuCEM (1888.17.5).
© MuCEM / Pierre Catanès

Les sifflets globulaires imposent une maîtrise beaucoup plus grande pour obtenir un son harmonieux. Certains sifflets mal fabriqués ne fonctionnent plus lorsqu’on souffle trop fort ou ne sonnent que si les trous de jeu sont fermés.

La partie sifflante est réalisée quand la terre n’est pas encore sèche. Le potier utilise des outils qu’il fabrique lui-même, par exemple une baguette ronde et pointue pour percer la fenêtre et un fin stylet pour réaliser le canal d’insufflation. Chaque potier a son outil favori. Nous avons pu constater que, s’il est important d’avoir un outil fin et bien adapté pour former une fente nette et bien lisse, c’est le tour de main du potier qui demeure son véritable secret. Certains potiers découpent en premier la fenêtre puis percent le canal d’insufflation (ill. 15). D’autres percent en premier le canal jusqu’à la paroi puis découpent exactement au bon endroit la fenêtre d’un simple coup de leur baguette pointue (ill. 15bis).

Le potier ajoute enfin les détails et le décor de la figurine en incisant des traits, en perçant de petits trous ou en estampant des cercles ou des lignes de chevrons. Il peut plonger le sifflet dans l’engobe ou dans le vernis pour réaliser les décors d’engobes colorés ou d’émaux que révélera la cuisson.

Comme pour toute poterie, les pièces sont mises à sécher à l’ombre avant la cuisson.

La cuisson

Cuisson à la poterie des grands bois (La Chapelle-Saint-André, Nièvre) dans une restitution d'un four médiéval daté du début du XIVe siècle découvert à Fosses (Val-d'Oise). © Pierre Catanès

Ill. 16 : Cuisson à la poterie des grands bois (La Chapelle-Saint-André, Nièvre) dans une restitution d'un four médiéval daté du début du xive siècle découvert à Fosses (Val-d'Oise). © Pierre Catanès

Tous les types de four sont utilisés pour la cuisson des sifflets. Dans les vastes fours des usines de poterie ou des grands ateliers, les sifflets complètent les fournées de pièces utilitaires. Compte tenu du coût et du travail demandé par une cuisson au bois (ill. 16), le moindre espace est utilisé et ces petites pièces sont intercalées entre les grandes. L’enfournement est une opération complexe où chaque objet trouve une place précise en fonction de sa taille et de la température souhaitée par le potier. Dans un four à bois à tirage vertical, la chaleur va en décroissant de la base au sommet et les objets placés en bas sont plus cuits que ceux du haut. Cette différence est en partie compensée par le fait que la base est généralement plus chargée. Aussi la cuisson du bas est-elle en partie retardée par rapport au haut plus aéré.


À l’inverse de ces cuissons réalisées par les potiers professionnels, les fabricantes de sifflets russes  traditionnels utilisaient simplement leur four domestique pour cuire leurs jouets. Il est possible que cette solution ait été adoptée à la fermeture des fours de potier des villages où elles auraient pu cuire auparavant leurs figurines. Au début du xxe siècle encore, dans le sud-ouest de la France, nous avons le témoignage de deux fabricantes de sifflets qui apportaient au potier du village voisin leur production pour qu’il la fasse cuire avec sa poterie utilitaire. Peut-être auraient-elles utilisé leur four à pain si le potier avait stoppé ses cuissons ?

Entre ces deux extrêmes, on trouve également des fours de petite taille destinés spécialement à la cuisson des petits objets, jouets et sifflets.

La décoration

À l’issue de la cuisson, les sifflets peuvent éventuellement être peints. Très souvent, sur les modèles traditionnels, le potier plonge d’abord le sifflet dans un lait de chaux blanc qui sert de base aux peintures colorées utilisées pour tracer le décor. Jusqu’au début du xxe siècle ces peintures, à base de lait, d’œuf et de colorants naturels, étaient préparées par l’artisan selon des recettes tenues secrètes. Elles s’effaçaient rapidement et étaient peu variées. Les potiers ont remplacé ensuite les plantes ou les oxydes par les colorants synthétiques destinés à teindre les tissus. Le liant à base d’œuf restait cependant fragile et ces peintures ont été supplantées finalement par les peintures industrielles, plus faciles à utiliser, plus résistantes et aux couleurs éclatantes.

Conclusion

Le sifflet représente un travail total important en dépit de sa petite taille. Quand les potiers de Prévelles (Sarthe) ou d’Aubagne (Bouches-du-Rhône) fabriquaient en quelques minutes un sifflet, d’autres passaient de longues heures à mouler ou modeler chaque élément de la figurine, à les assembler puis, après la cuisson, à les peindre avec soin. Dans tous les cas, le sifflet était vendu à un faible prix et ne représentait qu’un revenu d’appoint. Une partie de cette fabrication se faisait le soir après les journées de travail à l’atelier ou était réalisée par les femmes et les enfants.

On a souvent exagéré la place des femmes dans la production des sifflets. Quand les ethnologues ont commencé à s’intéresser à ces objets du quotidien, leur production était déclinante et dans plusieurs centres potiers, Barcelos au Portugal, Dymkovo en Russie ou La Borne en France, cette production n’était plus réalisée que par des femmes âgées qui maintenaient la tradition. Lorsqu’elles étaient enfants, elles avaient appris ce travail auprès de leur mère avec leurs jeunes frères. Si on retrouve surtout des femmes parmi les fabricants de sifflets, c’est simplement parce que les garçons se formaient ensuite au tournage, à une époque où entraîner le tour au pied ou au bâton était un travail physique difficile.

Les créateurs traditionnels des modèles de sifflet réalisés au tour étaient donc des hommes jusqu’à l’apparition du tour électrique. Dans les ateliers, les femmes participaient pourtant à la production en effectuant les autres tâches. Si les femmes des potiers étaient déclarées « sans profession » sur les registres paroissiaux ou d’état civil, c’étaient elles, ainsi que des ouvrières, qui réalisaient et posaient les anses des pots et des pichets et, bien souvent, qui les décoraient. Ce sont aussi les femmes qui ont engobé et vernissé bien des fournées de sifflets qui sortaient du tour de leur époux.

La production de sifflets ou de jouets est une activité céramique considérée comme annexe. On constate que, quand cette production prend de l’importance, ce sont alors souvent les hommes qui la réalisent. Aujourd’hui, les sifflets en terre cuite ont quitté leur modeste place de petits jouets pour devenir des objets d’art populaire prisés ou des pièces de collection. Leur fabrication n’est plus réservée aux femmes, même dans les centres russes ou portugais où des générations de femmes ont permis à ces objets de parvenir jusqu’à nous.

La question posée par Angelica Lima Cruz4 : « […] did figurative clay work have no prestige because it was made by women, or was it made by women because it had no prestige? [Le travail des figurines en terre n’a-t-il pas de prestige car il était fait par des femmes ou bien était-il fait par des femmes car il n’était pas prestigieux ?] » trouve ainsi sa réponse.

Pierre Catanès

1 Voir par exemple le sifflet DMH1939.47.6

2 L’insertion du tube siffleur, souvent masquée par les ajouts d’argile, est très visible sur les radiographies. On peut le constater en étudiant le sifflet 23 présenté dans l’essai « Acoustique et sifflets ».

3 Dessins d’après l’article de Lionel Hébert, « Les sifflets de Rosa Côta » ; Jeunes années magazine, no 124 bis, éd. Francs et franches camarades, Paris, 1977, p. 24-27.

4 Angelica Lima Cruz, chargée de cours à l’université du Minho (Portugal), est l’auteur d’une étude sur les figurines en poterie dans l’art féminin : « Forms of Life and the Life of Forms : Clay Figurines in Women’s Art », Journal of Art & Design Education, volume 18, 1999, p. 221-230.